L'Histoire du corbac aux baskets par Anerk
Je viens de le lire, et ce qui suit ne sera pas vraiment une critique, mais plutôt une réaction "à chaud".
J'ai un peu honte de le dire, mais je connais Fred depuis peu, quatre mois dirais-je (merci Marie, d'ailleurs).
J'ai donc commencé avec "Le naufragé du A", qui m'a bluffée, mais je n'ai pas eu l'occasion de lire les autres tomes relatant les aventures de Philémon (le genre de BD dont les exemplaires d'occasion coûtent dix fois plus cher que les neufs). Et puis malheureusement, Fred est mort. Et moi j'avais envie d'aller à la médiathèque cette aprèm. Alors je me suis dit quelque chose que j'aurais pu me dire dans cet intervalle de quatre mois: "tiens, ils ont peut-être des BD de Fred là-bas !". Et en effet, on en trouve quelques-unes, dont les deux premiers tomes de Philémon, et "L'Histoire du corbac aux baskets", donc.
Graphiquement, si j'ai reconnu le trait de Fred, il m'a tout de même semblé plus "direct", moins léché en tout cas, dans une tonalité beaucoup plus sombre. Et puis, la maîtrise parfaite du décor et de son envers dans la maison des Fortunés des Cerscenseurboggan (ça c'est moi qui l'ai inventé). En plus d'un scénariste de talent et un véritable poète, Fred était un grand dessinateur, à n'en pas douter. Le dessin sort parfois des limites de la case pour former des polyptiques avec celles qui l'entourent, la vivacité s'allie à la précision, et on est émerveillé par ce qu'on a sous les yeux. Il sert à merveille l'histoire de ce pauvre corbac qui n'en est pas un.
Ainsi, Armand se réveille un matin avec des plumes en lieu et place de son apparence habituelle. N'en faisant pas tout un cas, il se rend à son travail, et si sa dégaine de corbeau ne dérange pas grand monde, il aurait pas du déconner en se ramenant en baskets. Son patron le déplume alors avec un sens de l'humour particulier. C'est là la première éviction que subit Armand, seul contre le reste de la société (d'abord l'entreprise, puis la foule).
C'est dans le cabinet de son psy entêté d'un entonnoir, qu'Armand livre son histoire. c'est par le biais de l'infortune de son personnage que Fred témoigne lui de son dégoût pour une certaine forme de pouvoir, l'uniformité de la société, le rejet de l'étranger ou de celui qui ne se plie pas aux normes, bref, celui d'une certaine bourgeoisie. Il en profite également pour s'attaquer à la hiérarchie, au corps militaire, mais toujours avec un humour absurde, une ironie mordante, un cynisme qui décoiffe.
Parce que voilà, si on n'a pas lu la BD, on peut se dire qu'après tout ce sont des thèmes éculés, qu'on aborde forcément quand on est un auteur engagé, mais le style de Fred rend tout cela singulier. Les jeux de mots fusent, ainsi que des situations plus cocasses les unes que les autres.
Et puis en toile de fond le problème du nucléaire: si la catastrophe de Tchernobyl devient une campagne militaire qui a tourné en mutinerie on ne peut plus "chevaleresque" face à une baraque à frites vendant des saucisses à base de cheval, c'est bien les retombées de pluie matelassées qui sont au coeur du problème.
On dévore cette histoire avec autant de plaisir qu'en prend le psy en engloutissant sa bouillie, le tout est empreint d'une mélancolie qui touche en même temps que certains gags nous font éclater de rire.
En bref, j'ai adoré cette BD, et je sens que je vais m'engouffrer dans Philémon. Si vous connaissez des biblio/médiathèques parisiennes qui disposent de tomes autres que les deux premiers, je suis preneuse, merci.
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