Pour leur première collaboration, Nicolas Dumontheuil et Aurélien Ducoudray ont opté pour une fable burlesque haute en couleurs, en prenant pour thème une pratique qui avait cours au temps du Roi Soleil : le « Congrès » ! Méconnue pour la plupart d’entre nous et si saugrenue puisse-t-elle paraître, cette pratique permettait à une épouse d’annuler son mariage pour cause d’impuissance de son époux. Devant une assistance composée de juristes, d’ecclésiastiques (sic !) et de témoins, le mari avait pour obligation de démontrer qu’il avait la capacité d’« honorer » sa conjointe et que son « appareil reproducteur » était en état de marche. Bien sûr, aucun voyeurisme là-dedans (qu’allez-vous chercher, voyons ?), le but étant de favoriser la croissance démographique, comme le préconisaient les textes saints… Pratique odieuse et humiliante s’il en était, le « congrès » aura duré plus de cent ans (en France uniquement !) avant d’être aboli en 1677.
A la lecture de l’ouvrage, on sent bien que les auteurs se sont emparés du sujet avec une certaine jubilation. Aurélien Ducoudray nous sert un scénario coquin qui suscite nos interrogations tout au long du livre : le pauvre Comte de Dardille retrouvera-t-il sa vigueur sexuelle grâce à l’intervention avisée de son ami « membré », dit « le Marquis » ? Celui-ci, persuadé qu’il peut redresser… la situation, va accompagner le Comte dans des hauts lieux de perdition prévus pour rendre sa « raideur » à un mort, tout raide soit-il déjà… Pour les textes, Ducoudray a pris un soin tout particulier à respecter le beau langage de l’époque tout en le rendant compréhensible au lecteur du XXIe siècle, se payant même le luxe de produire des rimes… Aurait-il convoqué les muses de Molière ? En tout cas, cet auteur excelle l’art des pieds et des versets, nous rappelant — au cas où on l’aurait oublié —, que la langue française est la plus belle du monde…
De même, la partition graphique est gérée de main de maître par Nicolas Dumontheuil. Son trait n’a jamais été aussi énergique, tout en exubérance, et quel meilleur adjectif que « baroque » pour le qualifier ici, dans ce contexte historique « Ancien Régime » ? L’auteur de « Qui a tué l’idiot ? » ne connaît pas la ligne droite, et c’est bien ce qui rend son dessin si vivant ! Les bâtiments ont l’air de danser au rythme des personnages, eux-mêmes dotés de mines très expressives. Tout cela confère à l’ensemble un air de farandole échevelée. Et que dire de la multitude de détails qui ornent chaque page ? Nos yeux ne savent plus donner de la tête qui, elle, en reste étourdie… C’est du grand art, un plaisir de bédéphile.
« L’Impudence des chiens » s’avère une fable tragi-comique réjouissante, et l’on sait gré aux auteurs de ne pas être tombés dans le piège de la lubricité, ce qui, vu le sujet traité, aurait été facile… Bien au contraire, ils ont adopté le ton juste et réussissent à s’amuser du rite odieux d’une époque heureusement révolue, dont aujourd’hui on a peine à croire qu’elle ait vraiment existé. Si par son crayon élastique, Dumontheuil aime à rendre hommage aux formes féminines, il n’en va pas de même pour les hommes, très peu à leur avantage en tenue d’Adam… et lorsqu’ils sont habillés, leurs perruques démesurées de paons ridicules ne constituent pas forcément des invitations à l’amour… Je ne dirai rien du dénouement et de la scène finale, aussi hilarants qu’inattendus, mais le petit message à l’adresse des hommes de guerre, dont l’érection semble plus souvent stimulée par les canons, est des plus — passez-moi l’expression — jouissif.