Album de la pleine maturité (on pourrait dire « jovialité ») de la série « Achille Talon », cet album rassemble malgré tout des gags d’époques fort diverses, en réussissant la gageure de tenir à peu près en permanence une grande force comique (ce qui ne sera pas le cas de compilations plus tardives de fonds de tiroirs).
Achille est intéressant en ce qu’il incarne nos vices et nos petites lâchetés. Son immaturité gamine et celle de Lefuneste poussent les deux voisins à des farces gratuites qui leur retombent généralement sur le nez (pages 6 et 7). Son Ego proéminent se reflète jusque dans ses aventures horticoles (pages 8 et 9). Sa gourmandise est en butte à une malédiction (pages 18 et 19). Sa suffisance ruine ses entreprises littéraires (pages 26 et 27).
Les thèmes sont variés, et sont interprétés par Greg avec la bonne humeur sans arrière-pensée qui caractérisait les Trente Glorieuses, à tel point que l’on peut se demander aujourd’hui comment on pouvait être si direct, optimiste et sans souci. Même le rire est contaminé par les conjonctures économiques et sociales.
Les vacances (page 3) ; les escroqueries coûteuses de Vincent Poursan, demi-dieu du Panthéon des commerçants (pages 4 et 5, 38 et 39) ; la nostalgie des bonnes vieilles traditions face à la modernité (pages 10 et 11) ; les fâcheux, hypocrites et faux amis (pages 16 et 17) ; les emballements passagers pour telle ou telle activité (pages 22 et 23, 28 et 29, 42 à 45) ; bien entendu, Achille Talon exagérant toujours pour satisfaire les exigences de sa fonction au journal « Polite » (pages 24 et 25), ou pour y jouer, occasionnellement, le commissaire Bourrel (pages 36 et 37).
Pour le petit monde de la série, on notera que Papa Talon et Vincent Poursan sont déjà présents dans un gag relativement ancien (page 3, gag n° 84) ; que, dans le même gag, figure dans trois vignettes un petit garçon blond (héritage des tout premiers gags de la série, où il fallait un personnage de l’âge du lecteur), dont on ne sait finalement pas qui il est, en tout cas ni fils ni neveu ni cousin, pour ce qu’on peut savoir de la famille talonienne. Laszlo Zlotz nous charme avec sa syntaxe et sa morphologie verbale fort exotique (pages 19, 34 et 35).
Greg exploite ses filons bien connus des champs lexicaux tournant autour d’une notion principale (pages 4 et 5) et nourrissant les répliques des personnages ; des effets aussi gros que possible découlant de causes anodines (pages 6 et 7) ; de la recherche du vocabulaire aussi poussée que possible pour décrire des situations simples (pages 8 et 9, 10 et 11, 12 et 13) ; de l’étalage d’érudition livresque, disproportionnée avec les nécessités de la situation (pages 12 et 13) ; de l’irruption de gags entièrement visuels ou presque (pages 20 et 21, 40 et 41), avec transgression des limites des vignettes (pages 24 et 25) ; parodie d’une autre BD (« La Rubrique-à-Brac », de Gotlib, pages 30 et 31) ; conflit avec le garde-champêtre (pages 32 et 33). On notera, page 29, la collaboration attestée de Dupa avec Greg (Dupa est surtout connu pour sa série « Cubitus »).
Un album joyeux, inconséquent, qui ignore le sérieux et la morosité dont nous sommes apparemment si accablés.