Drame ou farce : la réalité n'est qu'un songe.

Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2014, écrits par Rick Remender, dessinés, encrés et mis en couleurs par Greg Tocchini qui a également réalisé les couvertures. Il fait partie des 3 séries indépendantes lancées par ce scénariste en 2013/2014, avec Black Science (avec Matteo Scalera & Dean White) et Deadly Class (avec Wesley Graig & Lee Loughridge).


Loin dans le futur, à une époque où le soleil a évolué jusqu'à ce que la vie soit devenue impossible à la surface de la Terre et qu'il ne reste que quelques millions d'êtres humains répartis en 2 ou 3 cités sous la protection de l'eau des océans. L'humanité sait que la vie sur Terre est condamnée à l'échelle de quelques années du fait de l'évolution de l'état du soleil. Dans la cité de Salus, Stel et Johl viennent de faire l'amour et se lèvent pour se préparer pour leur journée. Johl (le mari) remplit les fonctions de Timonier, responsable de la protection et du ravitaillement de la cité. Il a promis à ses filles Della & Tajo de les emmener avec lui lors de sa sortie du jour pour commencer à leur apprendre à piloter le vaisseau et l'amure. Stel n'y est pas favorable, mais accepte sous réserve que ses filles se souviennent de la promesse de leur père. C'est le cas. La petite famille se rend donc au vaisseau, et passent devant un atelier de maintenance, où travaille Marik, le fils de Stel et Johl.


Stel, Johl, Della et Tajo sont à bord d'un vaisseau sous-marin pour explorer les alentours de la cité à la recherche de nourriture. Ils repèrent une immense pieuvre, à même de fournir le quota de denrées qu'ils doivent ramener. Ils se mettent à la poursuivre pour la tuer, mais elle crache un nuage d'encre impénétrable, beaucoup plus dense que la normale. Le temps d'en sortir, ils se rendent compte qu'ils sont tombés dans un piège, tendus par des pirates, menés par les frères Roln et Grolm. Ces derniers disposent de l'effet de surprise et d'une puissance de feu largement supérieure. 10 ans après cet affrontement traumatisant, Marik est devenu un policier ripou, abusant des prostituées, refusant de les payer, et consommant des substances psychotropes. Stel n'a pas perdu espoir même si les morts lui pèsent encore lourd. La chance semble tourner quand ses appareillages radio de surveillance captent le retour de la sonde spatial Vaolkovic dans l'atmosphère terrestre avec des donnés qui semblent indiquer l'existence d'une planète habitable.


Ce tome commence avec une introduction de 2 pages rédigée par Rick Remender dans laquelle il rappelle l'existence de sa collaboration initiale avec Greg Tocchini, The Last Days of American Crime, sa fascination pour le concept du Soleil engloutissant les planètes du système solaire, et sa thérapie qui lui a appris à développer des pensées positives. Le lecteur découvre donc une dernière poche d'humanité vouée à une disparition totale à l'échéance de quelques années. Malgré tout, la vie continue, il faut bien manger, et certains conservent l'espoir qu'une solution pourra être trouvée, par exemple la relocalisation sur une autre planète. Parmi ces optimistes, Stel Caine participe activement à la recherche de solutions alternatives. Le lecteur habitué de Rick Remender retrouve le thème de la famille, et du poids des conséquences des actes de ses parents. Il retrouve également son goût pour la science-fiction, pour les scènes d'action spectaculaires, et pour les drames et la poisse qui peut s'acharner sur un personnage, comme elle s'était acharnée sur Heath Huston dans la série Fear Agent. D'une certaine manière, le lecteur peut donc avoir l'impression d'être en terrain connu, mais de l'autre l'auteur a choisi un personnage féminin comme protagoniste principal, dotée d'un optimisme constructif, ce qui change de d'habitude pour cet auteur.


Pour cette série, il fait équipe avec un artiste avec qui il avait déjà travaillé, pour Last days of American crime, et aussi pour des épisodes de la série Uncanny X-Force. Greg Tocchini réalise ses planches à l'infographie, mêlant traits encrés et couleurs, dans une même phase, s'appuyant sur les informations données par les couleurs pour parfois alléger ses traits de contour. L'intégration de ces 2 formes d'informations visuelles est totale et le lecteur plonge dans un monde très substantiel du fait des camaïeux de couleurs qui donnent une grande consistance aux fonds, même lorsqu'ils sont dépourvus de formes détourées. L'artiste utilise les couleurs pour ajouter des textures et du relief aux surfaces, ainsi que pour les faire ressortir les unes par rapport aux autres, accentuant la différence entre les plans, en fonction de la distance. Lorsque la tension de la scène atteint un paroxysme (par exemple pendant les combats physiques), il s'éloigne d'une mise en couleurs naturaliste, pour passer dans un registre plus expressionniste, par exemple avec des camaïeux rouges pour évoquer la violence et la brutalité. Cette utilisation de la couleur développe également une ambiance pour chaque scène, très efficace. En particulier, Tocchini déploie des teintes bleue / verte pour les scènes sous-marines qui nourrissent bien la case, et convainquent le lecteur que les personnages sont effectivement en train d'évoluer dans l'élément liquide.


Dans un premier temps, l'artiste s'investit fortement pour donner corps aux différents environnements, pour montrer les bâtiments de la cité de Salus, pour représenter les mobiliers et équipements des différents endroits, pour créer une faune spécifique autour de la cité sous-marine sous dôme, et tout autant pour l'apparence de la technologie des vaisseaux sous-marins. Il trouve le point d'équilibre parfait entre des éléments très détaillés, et d'autres plus esquissés dont le contour a été tracé à grand trait, laissant le lecteur remplir certains endroits avec son imagination. Tous les personnages disposent d'une apparence spécifique, ce qui permet de les identifier facilement, même s'ils portent une tenue sous-marine ou une armure. Le lecteur se projette donc avec plaisir dans ce monde nouveau, dans un lointain futur et un environnement rendu assez palpable pour être crédible.


Arrivé au deuxième épisode, le lecteur éprouve parfois la sensation que cet équilibre n'est pas toujours atteint. Il y a des scènes où il aimerait bien un niveau de définition plus important pour un élément technologique, des personnages dessinés plus précisément pour une scène un peu compliquée, un visage avec une expression plus parlante, et même certaines zones avec des traits peaufinés, et non pas une impression d'esquisse rapide avec ce qui ressemble à des traits de construction laissés en l'état. De ce fait, certains détails semblent perdus parce que tout juste dégrossis. Cette impression peut générer une forme de recul du lecteur, une réaction de diminution de l'intensité de son immersion, et il prend alors plus conscience de la manière dont l'artiste construit de sa planche, de la façon dont il s'économise en utilisant les couleurs pour cacher l'absence de décor, de visages dessinés à la va-vite uniquement de manière utilitaire, avec une émotion passepartout, prête à l'emploi. Dans ces moments-là, le lecteur perd son contact émotionnel avec le ou les personnages qu'il suivait, n'arrive plus à éprouver de l'empathie.


S'il a lu l'introduction de l'auteur, le lecteur n'est plus très sûr quant à quoi il doit s'attendre, du fait de la présence d'un personnage avec une attitude positive vis-à-vis de la vie. Remender réussit à faire passer le poids qui pèse sur l'état psychologique de ce qui reste de l'humanité qui se sait condamnée à court terme. Il intègre plusieurs scènes d'activité sexuelle, assez chaste car les dessins ne montrent pas les organes sexuels, juste les fesses au grand maximum, ces relations relevant soit de la débauche (une orgie) soit d'une relation amoureuse forte. Lui aussi arrive à trouver le point d'équilibre subtil pour Stel Caine, optimiste, mais accusant quand même le coup de la disparition de certains membres de sa famille. Ici, l'optimisme n'est pas synonyme de naïveté ou de gaieté forcée à tout crin. Rapidement, la dynamique de l'aventure s'installe, avec des actions périlleuses et spectaculaires. À de nombreuses reprises, les personnages principaux doivent prendre des décisions de vie ou de mort, et parier sur leurs chances (minces) de réussite. Comme avec Heath Hutson, Rick Remender semble prendre un malin plaisir à faire souffrir Stel Caine, en lui infligeant des pertes personnelles traumatisantes, dont elle porte une part de culpabilité, même si elle ne le montre pas.


De coup dur en coup dur, le lecteur finit par s'interroger sur la cohérence du récit, ou tout du moins sur la plausibilité du comportement de Stel Caine. Son optimisme est mis à rude épreuve, et ses certitudes d'une amélioration sont battues en brèche. Il devient de moins en moins crédible qu'elle puisse continuer à croire en une amélioration, en un avenir meilleur, encore que l'existence d'un avenir constitue déjà une amélioration par rapport à l'extinction proche de la race humaine. Le lecteur finit par se dire que le comportement de Stel Caine ressemble à celui du Candide (1759) de Voltaire. Il envisage alors une autre façon de lire le récit, en le prenant avec une pincée de sarcasme de l'auteur envers son héroïne. Ce n'est pas très gentil de la part de Remender, même cruel, mais ça rétablit une forme de cohérence dans la narration. Finalement l'optimisme de Stel Caine est trop constructif pour l'auteur qui n'arrive pas à l'être autant lui-même. Au cours de l'épisode 2, Stel Caine va consulter Masaje, une sorte de sage ou de guide spirituel. Ce dernier lui indique que la réalité n'est qu'une projection de ce qui vit en nous, une interprétation de ce que nous percevons biaisée par nos convictions personnelles. Remender se montre donc particulièrement cruel vis-à-vis d'elle en lui faisant conserver une forme d'optimisme immarcescible malgré les traumatismes qu'elle subit, et envers le lecteur auquel il semble dire que cette vision optimiste des choses est un miroir aux alouettes, une façon de se rassurer, mais que l'univers reste bel et bien hostile plutôt qu'indifférent.


Rick Remender & Greg Tocchini proposent une aventure originale, dans un monde courant rapidement à sa perte provoquée par l'évolution du Soleil qui rend la Terre inhabitable pour les humains. Ils ont développé un environnement riche et intriguant, des personnages immédiatement attachants. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut cependant regretter le parti pris artistique dans certaines pages, ainsi que le ton de la narration concernant l'héroïne, l'auteur se montrant cruel, presque vicieux à son encontre.

Presence
8
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le 30 juil. 2019

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