Tourisme Viking

Bartholomée ressemble de plus en plus au héros de l'autre série de Jean-Yves Mitton, "Les Survivants de l'Atlantique". Au nom de principes d'égalité et de fraternité entre les hommes (mais, cette fois, d'inspiration chrétienne plus que Droits-de-l'Hommiste version 1789). Comme Yann, Bartholomée se révolte contre les cruautés et les injustices commises par ses "frères" Vikings au nom des traditions locales, en particulier contre le sinistre Nörglaw (sacrifice humain pour plaire aux dieux, visiblement pratiqué dans bon nombre de circonstances). Comme Yann, Bartholomée préfère compromettre sa précaire situation sociale plutôt que de faire taire ses idées généreuses et ses emportements. Comme Yann, Bartholomée va faire un petit séjour tout nu suspendu au bordage d'un navire, longuement exposé au froid, à l'humidité, et visiblement ne s'en portant guère plus mal ensuite (planches 41-42)...

L'originalité de cet épisode, c'est une double ration de cheminement touristique : le chaman Algard fait découvrir à Bartholomée les divers aspects de la civilisation des Vikings, qu'il devra forcément bien connaître, puisque il en est le prince adulé... Les planches 17 à 19, assez bavardes, ressemblent à un guide touristique, car Mitton cherche à faire tenir dans ces trois pages le descriptif du Monde Viking.

Deuxième ration touristique : Bartholomée n'étant pas le héros pour rien, après l'avoir gratifié de l'attitude pacifiante qui l'a conduit à signer le traité de Saint-Clair-sur-Epte, Mitton lui attribue maintenant le mérite de détourner les convoitises des Vikings dirigées vers la France pour les faire aller vers l'Ouest, vers le Groenland, vers l'Amérique du Nord... où les Vikings ont bel et bien débarqué (pas du tout à cette date-là, pas du tout dans ces circonstances-là, mais c'est Bartholomée qui est le héros, non ? Alors, silence dans le fond !).

Bartholomée étant gentil (ses pulsions de tendresse envers son "frère" viking sont touchantes), mais naïf et souvent ridicule, on peut certes s'identifier assez aisément à son personnage, mais il fait dissonance avec les barbaries constantes dont les Vikings sont friands : sacrifices humains en jetant des vierges dans une cascade, fracassement du crâne d'un énorme boeuf par un Viking presque aussi gros que la bestiole... On sent que, malgré les tourments psychologiques et moraux de Bartholomée, et les menaces physiques qui pèsent sur lui (mais qui ne sont jamais sérieusement mises à exécution), l'atmosphère est moins à la tragédie qu'à la fascination perverse pour des rituels barbares. Les incohérences du comportement de Bartholomée (planche 25 : il hurle aux Vikings qu'il n'est pas Leif Eriksson - planche 30 : il leur hurle exactement le contraire, et les Vikings ne réagissent pas à cette contradiction, sauf un ou deux, pour la forme...) n'ont pas l'air de gêner Mitton; de même, le chaman Algard, il faut avouer, fait tout ce qu'il peut pour sauver la mise à Bartholomée, et celui-ci le maltraite et lui désobéit très régulièrement... Comme si Bartholomée savait que le Grand Scénariste ne le tuera pas, quoi qu'il fasse...

Comme d'habitude chez Mitton, on nage dans les fornications diverses et les nudités des corps. Très belles images érotiques de corps nus se jetant dans l'eau glacée de la mer ou d'une cascade (planches 2 à 5). Quant à Bartholomée, il était peut-être puceau jusque là, mais il se rattrape significativement, en s'envoyant toutes les filles que le hasard met sur sa route - il est vrai de manière provisoire, car pas mal d'entre elles finissent assez mal... Côté étreintes, on notera la planche 11; le petit jeu à trois des planches 12 et 13; le lyrisme érotico-monastique de la planche 33; l'intimité érotique d'une tente indienne pendant l'hiver (planche 45).

Le dessin, toujours somptueux et d'une grande lisibilité, contribue avec les charmes exotico-barbares, et la toile de fond sexomaniaque, à attirer le lecteur à juste titre...