Zorglub est l'antagoniste le plus intéressant de la série Spirou, et dans ce seizième album, il est de retour, après l'aventure qui le mit en lumière, et en déroute.
Pourquoi ? Parce qu'à l'heure où la bande-dessinée franco-belge était encore toute jeune, Franquin (et Greg) proposent un antagoniste (et je prends le soin de ne pas user du mot "méchant") intelligent, aux allures de savant fou, et pourtant pas forcément mal intentionné : il échappe au manichéisme de la plupart des œuvres visant un public jeune, et initie même des réflexions éthiques plutôt intéressantes !
A l'époque d'une guerre froide déjà menaçante, la question des limites de la science était déjà bien présente et abordée, et voir jusqu'à quel point celle-ci était légitime s'impose donc. Parce que Zorglub, sous ses dehors mégalomanes, et avec ses plans machiavéliques, veut épater le monde scientifique, montrer sa supériorité et pas forcément "faire le mal", mais pour y arriver, il est contraint de faire de mauvaises choses, parfois à son insu. Ce qui le rend très drôle et attachant, d'ailleurs.
Mais ce qui m'a le plus choqué, c'est la clairvoyance de Franquin, alors que l'Europe entame les Golden Sixties, que l'Occident s'est totalement remis de ses blessures et que consommation et production explosent, Franquin, qui va axer toute la deuxième partie de son histoire sur les travers de la société de consommation. Consommer toujours plus, jusqu'à ne plus savoir que faire de tous ses achats et en être réduit à les jeter, et ce à cause du matraquage publicitaire. C'est à la fois rigolo, bien inséré scénaristiquement (ça explique une des parts d'ombre laissées lors du précédent album) et totalement visionnaire/irrévérencieux ! Des idées noires en avance, et avec les couleurs chatoyantes des aventures de Spirou et Fantasio.
Pour le reste, une aventure plutôt mal rythmée, un peu trop décousue (on termine d'abord l'intrigue de l'album précédent, avant de laisser un temps de flottement scénaristique qui préfigure une reprise un peu mollassonne), mais toujours aussi paradoxalement légère et consistante. Aucun trait n'est laissé au hasard, ça fourmille de petits gags, de jeux de mots, de situations qui font sourire et c'est là qu'on constate la différence entre les Spirou de Franquin, et les autres (même si j'aime beaucoup les Tome&Janry).
Mais cela n'enlève quand même à l'ouvrage ses menus défauts, et sa première partie peu intéressante, d'où la note un peu sévère, bien que cet album reste essentiel pour bien comprendre l'ampleur de Zorglub, ainsi que du génie de Franquin.