Le domaine des rêves de Julius Corentin Acquefacques est décidément inépuisable (à l’image de l’inspiration de Marc-Antoine Mathieu). La série pourra-t-elle maintenir un tel niveau sur le long terme ? On peut toujours rêver !
Les thèmes de prédilection de Marc-Antoie Mathieu restent les mêmes, à savoir la position du dessinateur en tant que créateur (Dieu ?) du monde qu’il imagine et puis la représentation d’un univers en 3 dimensions sur des planches classiques en 2 dimensions. Son goût pour la logique de l’absurde ne se dément pas et il a une capacité stupéfiante pour imaginer des variations totalement inattendues, tout en soignant son dessin (noir et blanc toujours aussi magnifique) et en faisant admirer son goût pour les jeux de mots qui dénotent une vraie finesse d’esprit. Enfin, il place quelques références qui vont de la BD (existence d’univers parallèles, dont celui des cîtés obscures de Schuitten et Peeters) à la physique (Einstein qui disait que Dieu ne joue pas aux dés) en passant par le cinéma (Brazil) et la réflexion existentielle (La liberté est-elle possible ? Avoir un rôle en tant que personnage de BD ou bien comme une personne dans la vie).
JC Acquefacques passe toujours de rêve en rêve d’une manière plus ou moins abrupte (dans son cerveau, les rêves s’imbriquent souvent), avec des enchainements typiquement oniriques (une logique souvent absurde, avec des liens ténus pour des enchaînements inattendus). Une nouvelle fois, JC va être porteur d’une mission. Cette mission est en lien direct avec la création des personnages et de l’univers de la BD. La quatrième de couverture le mentionne :
PERSPECTIVE n. f. (Lat. méd. Perspectiva, perspicere, voir à travers). Art de la représentation en deux dimensions, sur une surface plane, des objets en trois dimensions. L’illusion du volume y est structurée par les lignes de fuite, qui prennent leur source aux points de fuite, généralement situés sur la ligne d’horizon.
A première vue, ceci est extrêmement sérieux. On repère cependant l’expression « point de fuite » qui sera le ressort de l’histoire et source de nombreux traits d’esprit dans l’album. Marc-Antoine Mathieu a de plus en plus de mal à s’imposer des limites, puisque cet épisode compte pas moins de 56 planches (la dernière occupant carrément la troisième de couverture) et que, justement, son but évident est de repousser les limites de la narration dans le cadre du neuvième art.
Les 5 premiers chapitres sont dans le style habituel de Marc-Antoine Mathieu, avec déjà quelques surprises de taille. C’est avec le chapitre 6 qu’il fait une nouvelle fois voler en éclats les limites de l’expression par la BD. Ses multiples explorations de cette fameuse troisième dimension aboutissent à 8 planches (qui courent jusqu’au chapitre 7) à parcourir avec des lunettes spéciales (fournies par l’éditeur) qui permettent de voir l’univers des rêves de JC en volume. C’est très bien fait, bluffant et bien intégré dans le scénario. Du très beau travail qui montre que, pour quelqu’un dont l’imaginaire n’a pas de limites (et qui a des connaissances dans pas mal de domaines, dont les sciences physiques), tout ou presque est possible. En amateur de peinture, Marc-Antoine Mathieu se permet même d’intégrer discrètement le cubisme dans son dernier chapitre. L’ensemble est encore une fois assez vertigineux !
Le seul reproche possible concerne à mon avis l’aspect Marc-Antoine Mathieu raconteur d’histoires. Pour apprécier cet album (comme tous ceux de la série), il faut accepter d’entrer dans l’imaginaire de l’artiste. Dans cette série, il s’intéresse avant tout à son rôle de dessinateur de BD, en explorant les moyens techniques à sa disposition. Étant dans le domaine du rêve, il peut tout se permettre en se laissant aller à une certaine logique. Pour le lecteur, de deux choses l’une, soit le rejet pour cause d’absurdité (et absence de perspective), soit l’admiration pour cause d’intelligence inventive (et si vous voulez mon avis, chez Marc-Antoine Mathieu, on tend vers plus l’infini).