Ce tome fait suite à Fluff my life (épisodes 6 à 10) qu'il faut avoir lu avant. Pour comprendre les relations entre les personnages, il vaut mieux avoir commencé par le premier tome. Celui-ci comprend les épisodes 11 à 15, initialement parus en 2017, écrits, dessinés et encrés par Skottie Young, avec une mise en couleurs réalisée par Jean-François Beaulieu. Sur les 20 pages de l'épisode 13, Skottie Young en a dessiné 5, et les 15 autres ont été dessinées par Dean Rankine.


Gert (diminutif de Gertrude) vient de pénétrer dans l'enceinte du donjon Festexpocon, le lieu où tous les plus grands héros de Fairyland viennent tenir un stand pour rencontrer leurs fans enamourés. Comme d'habitude, elle est accompagnée par Larry (Larrington Wentsworth III), une mouche anthropomorphe qui assure la fonction de guide, las, très las. Après avoir acheté une épée d'exception et détruit (par mégarde bien sûr) le stand de hot-dogs, elle décide d'aller voir son idole : Gwag la barbare. Arrivée devant son stand, elle se rend compte qu'il y a une très longue file d'attente. Après avoir réglé ce petit détail par un lot de bombes bien placées, elle peut enfin se tenir devant son idole. Elle déclare son admiration sans ambages, mais Gwag lâche 3 mots sans réelle implication. Ses 2 sbires collent une affiche signée par un coup de tampon dans les mains de Gert, lui en réclame le prix et l'éconduisent. Ils ont tôt fait de comprendre à qui ils ont affaire, à leurs dépens, ce qui n'a pas l'heur de plaire à Gwag. Peu de temps après, Gert tombe face à Maddie, une de ses ferventes admiratrices.


Par la suite, Gert a viré sa cuti et a décidé d'accomplir de bonnes actions. Elle commence par accepter de délivrer un bébé de ses vils kidnappeurs, ce qui l'amène à affronter un clan de samouraïs en forme de champignons anthropomorphes. À l'occasion d'un long déplacement à dos d'une grosse bestiole à 4 pattes, Larry pique un petit roupillon et rêve de son enfance, de la manière dont il est devenu un guide pour les enfants égarés dans Fairyland, jusqu'à ce qu'il se voit confier Gert. Elle doit ensuite affronter l'épreuve d'un labyrinthe dont elle doit forcément atteindre le centre, sous peine de devoir épouser son propriétaire Loveth Lovelord. Enfin, elle accomplit toute une série de quête avec la plus grande gentillesse.


On ne va pas se mentir : si le lecteur est revenu pour le troisième tome de la série, c'est parce qu'il apprécie l'humour très décomplexé et iconoclaste de Skottie Young, et la force comique de ses dessins. En effet il n'a aucune assurance qu'il saura se renouveler en termes d'intrigue. C'est un festival dès la couverture du présent tome avec toutes ces peluches aux grands yeux brillants, avec ce bel arc-en-ciel qui se déploie au fond, les petits cœurs roses qui flottent et Gert radieuse. Il est possible de prendre cette image au premier degré, comme l'incarnation du kawaï infantile et régressif, mais aussi comme une moquerie au second degré de ces conventions trop mignonnes pour être honnêtes, trop sucrées pour ne pas rendre diabétique rien qu'à la regarder. De fait, le lecteur retrouve sa Gertrude habituelle, toujours aussi insensible aux autres, incapable d'empathie, avec une capacité d'attention réduite, et un potentiel de patience n'excédant pas 30 secondes. Skottie Young est déchaîné comme jamais sur le plan visuel. L'apparence de Gert est à la fois débraillée et perverse. Elle ressemble à une petite fille de 6 ans, avec une jolie robe rose et un nœud dans les cheveux, mais sa dentition n'est pas droite ni régulière, sa robe est fripée comme si elle la portait depuis plusieurs semaines, et son ruban porte la marque de déchirures sur tout son pourtour. Ce qui détonne le plus sont les expressions crasses de son visage, exprimant la méchanceté, la veulerie, l'exaspération, la colère ou encore le cynisme, en parfait décalage avec les expressions d'un enfant normal. Tout du long, le lecteur peut se délecter de ces expressions exagérées rendant compte de l'absence de retenue du personnage et de sa recherche sans fin d'une gratification immédiate.


Les autres personnages sont également croquignolets. Larry arbore des expressions montrant son intense lassitude, ainsi que son abandon de tout espoir que sa protégée puisse se conduire normalement, ou se retenir de massacrer froidement tous ceux qui ont le malheur de la regarder de travers. Il est irrésistible avec ses épaules tombantes, son cigare mâchonné aux lèvres et ses 2 deux yeux globuleux striés de veines apparentes dues à la fatigue et à une mauvaise hygiène de vie. Gwag est une masse imposante, pas vraiment toute en muscles, avec un accoutrement caricatural de barbare, que ce soit le gros casque à corne, la jupette en lamelle de cuir, ou encore les bonnets de soutien-gorge métallique avec des décorations en forme de crâne à leur extrémité. Skottie Young transforme l'idée saugrenue de champignons samouraïs anthropomorphes en une vision totalement logique où leur chapeau s'apparente effectivement aux chapeaux de paille portés par les samouraïs. L'apparition de Loveth Lovelord constitue un grand moment, à la fois pour sa silhouette apprêtée comme s'il était le cadeau de dieu fait aux femmes, et par son accessoire de mode pelvien.


Comme dans les tomes précédents, Skottie Young s'en donne à cœur joie pour pervertir visuellement les personnages traditionnels des contes de fées. Il n'hésite pas à exagérer leurs visages et leurs formes. Gert ne manque pas de faire remarquer à Larry, qu'avec ses yeux globuleux son visage évoque une paire de testicule, et l'accessoire pelvien de Leveth Lovelord joue dans le même registre. L'artiste ne se contente pas d'une ressemblance de forme (plus évocatrice que réelle), il joue aussi avec les cadrages. Par exemple pour l'accessoire pelvien de Lovelord, il choisit un plan de prise de vue à la hauteur de Gert (c’est-à-dire celle d'un enfant), avec juste le profil de l'avant de la silhouette de Lovelord en bordure de case. Ainsi il fait ressortir la protubérance de l'accessoire pelvien, ce qui finit par indisposer physiquement Gert au point qu'elle lui demande de se déplacer pour sortir du champ de la caméra (c’est-à-dire de la case). C'est un comique qui repose à la fois sur l'exagération de cet accessoire, mais aussi sur la technique narrative propre à la bande dessinée, évoquant les dessinateurs ayant une propension marquée à cadrer leur case sur la poitrine généreuse ou le postérieur charnu de leurs personnages féminins.


Tout du long de ce tome, le lecteur sourit devant l'humour énorme, mais aussi la mise en scène souvent très sophistiquée. Dans le premier épisode, il reconnaît sans peine le comportement pas toujours rationnel des visiteurs dans les conventions dédiées à un divertissement spécifique, comme les comics au hasard. Dans le deuxième épisode, il identifie immédiatement l'hommage au manga Lone Wolf & Cub de Kazuo Koike & Goseki Kojima, avec les cadrages sur les visages des personnages se concentrant avant l'attaque. L'artiste trouve le point d'équilibre entre l'utilisation des conventions visuelles des mangas de type shanbara, et l'exagération comique. Ce point d'équilibre est instable car lesdites conventions constituent déjà des exagérations par rapport à la réalité et il n'est pas facile de les reproduire à des fins comiques, sans verser dans la décalque pure et simple dépourvue d'humour, ou la surenchère crétine. Dans le quatrième épisode, Skottie Young fait preuve de retenue visuelle (incroyable) pour montrer la réaction de Gert à l'apparence de Loveth Lovelord, dans un gros plan hilarant sur ses yeux montrant la nausée en train de monter. Les personnages croisés dans le labyrinthe amalgament les stéréotypes des personnages de Fantasy et un langage corporel reflétant leur intelligence limitée. Le dernier épisode surprend complètement car Skottie Young réalise des dessins trop mignons au premier degré sans méchanceté ni raillerie, et tout aussi convaincants. Pour être honnête, le lecteur n'est pas très curieux de découvrir les 15 pages réalisées par Dean Rankine dans l'épisode 13. Ce dessinateur ne cherche pas à imiter la verve visuelle de Skottie Young, et dessine avec ses propres idiosyncrasies. Le lecteur finit par apprécier ses modalités d'exagération, même si elles ne sont pas aussi chaleureuses que celles de Young.


Une fois de plus emporté par la force comique des dessins, le lecteur ne se soucie pas trop de l'intrigue. La caricature de convention de comics est sympathique, sans être féroce, et elle s'écarte rapidement d'une simple moquerie pour se concentrer sur la relation entre idole et fan. Le deuxième épisode est un prétexte pour rendre hommage aux aventures de Ogami Itto et Daigoro. Le troisième épisode surprend car il évoque l'histoire personnelle de Larry, ce qui justifie au passage qu'il soit dessiné par un autre artiste. Le quatrième épisode se moque des quêtes parfois étranges imposées aux personnages de récit de Fantasy, ainsi qu'à l'obsession du mariage présente dans les contes. Le dernier établit si oui ou non Gert peut vraiment se comporter avec bonté pour aider les autres. En fait, il apparait bien une progression dramatique, avec une rédemption potentielle et un changement de statut notable pour l'héroïne. Le lecteur a même la surprise de voir réapparaître des personnages des tomes précédents comme Horibella et Happy. Derrière la farce, il se rend compte que Skottie Young parle discrètement de l'idolâtrie, de l'intention d'aider autrui pas toujours pertinente ou perspicace, des aspirations de jeunesse et de la réalité de ce qu'elles deviennent au cours de la vie, de la réalité pragmatique et contractuelle du mariage.


Il est difficile de résister à la tentation de découvrir la suite des aventures de Gert & Larry, du fait de la force comique des dessins de Skottie Young, de sa verve et de son éloquence visuelles. Le lecteur lui pardonne même de ne pas avoir dessiné les trois quarts de l'épisode 13, au vu de la réussite virtuose des 4 autres. Entre 2 éclats de rire, il se rend compte qu'il peut aussi considérer un instant les thèmes abordés avec plus de gravité.

Presence
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le 24 janv. 2020

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