Ce tome est le premier d'une série en comprenant 4, indépendante de toute autre. Il est initialement paru en 2014. Il s'agit d'une histoire imaginée conjointement par Valérie Mangin & Denis Bajram. Ce dernier a réalisé la post-production visuelle. Valérie Mangin a réalisé le scénario du récit, ainsi qu'écrit les dialogues. Jean-Michel Ponzio en a effectué le story-board, les dessins, l'encrage et les couleurs. Bajram est également l'auteur de Universal War One, et il avait coréalisé Abymes tome 3 avec Valérie Mangin. Cette dernière est également la scénariste, entre autres de la série Alix senator. Ponzio a également illustré des séries comme Le protocole Pélican et Le complexe du chimpanzé.


Le 21 juin 2016, au musée archéologique du Caire, en Égypte, 2 gardiens de nuit voient la barque de Râ en train de briller. Ils s'en approchent, l'un d'eux la touche et est foudroyé net sur place. 29 juin 2016, la docteure en physique Elois explique à son supérieur que l'expérience qu'il a mené sur le suaire de Turin n'a aucune valeur scientifique. Elle est congédiée et accepte un poste pour une entreprise clandestine. 7 octobre 2017 : Isaac Lévy, ingénieur, est recruté dans le projet Râ, après un entretien inhabituel. 7 décembre 2017 : l'agent Black de la CIA accepte d'être mis à disposition de l'entreprise Fork Industries pour le projet Râ. 13 septembre 2018 : c'est au tour du pilote Buzz de la Nasa d'être intégré au projet. Enfin 14 février 2019, le père Georges Theillard reçoit l'accord du pape au Vatican pour en faire partie.


17 mars 2019 en Californie, de nombreux individus manifestent devant un complexe industriel des entreprises Fork. Le père Theillard pénètre dans le complexe dans un convoi de limousines. Il est accueilli par la responsable de l'installation, puis par Katlyn Fork en personne. Il contemple le vaisseau Horus-Râ. Katlyn Fork confirme l'objectif de la mission : déclencher la mort de son fils Matthew (maintenu en état de vie artificielle depuis des années), et suivre son âme à bord du vaisseau Horus-Râ, grâce à une technologie basée sur les tachyons. L'opération commence à 10h58, horaire de l'arrêt du cœur de Matthew. Les médecins chargés de suivre son état ont pour consigne de le ranimer au bout de 11 minutes si aucun phénomène n'est survenu dans ce laps de temps. Au début rien ne se passe, puis…


Il faut oser. Se lancer dans l'écriture d'une histoire où les personnages s'embarquent dans un voyage dans l'au-delà semble voué à la série B, voire la série Z, ou tout du moins au récit de genre trop littéral. Pour commencer, il faut que les auteurs présupposent une sorte de vie après la mort, et ensuite il faut qu'ils lui donnent une forme visuelle. Bien souvent, ce type de récit repose sur une conception chrétienne de la chose, avec une imagerie à base d'anges avec des ailes, et de démons avec la peau rouge, dans un au-delà alternant entre se prélasser dans les nuages, et rôtir dans les flammes. Ici les 2 coscénaristes prennent bien le parti de l'existence d'une âme, mais sans rentrer dans le détail. Pour que le récit conserve une forme visuelle, ils représentent le voyage spirituel sous forme de voyage spatial, ce qui utilise avec intelligence les caractéristiques du média qu'est la bande dessinée. Mais en fait le cœur de ce premier tome ne réside pas dans la nature de l'au-delà, mais dans le voyage.


Le récit commence avec la présentation des personnages qui vont participer au voyage, à cette expérience Mort. Après une page d'introduction sibylline sur la barque de Râ (car elle n'est pas rattaché à la suite du récit dans ce tome), le lecteur voit la phase de recrutement des 6 thanatonautes : la scientifique Elois en Italie, (spécialiste des tachyons), l'ingénieur Isaac Levy dans une salle souterraine, l'agent secret Black à Washington, Buzz dans le Nevada (pilote de la Nasa), le père Georges Theillard au Vatican, et enfin Katlyn Fork elle-même (initiatrice du projet). Le premier chapitre (à peu près la moitié du tome) est consacré à la phase de lancement de la nef Horus-Râ, et la deuxième moitié est consacrée au début du voyage. Le lecteur a l'impression d'assister à une forme de reportage où il peut voir ce qui se passe parmi les membres de l'équipage, et le suivi effectué dans les techniciens dans la salle de contrôle. Les dessins accentuent d'ailleurs cette impression de reportage. De prime abord, le lecteur est impressionné par la richesse visuelle qui se dégage des dessins. Il se souvient du concept de post-production visuelle, tâche pour laquelle Denis Bajram est crédité. Effectivement, il peut remarquer des effets infographiques ajoutés aux traits encrés, et venant compléter la simple mise en couleurs. Dès la page 4, il observe le suaire de Turin, visiblement collé sur le dessin, à partir d'une photographie. Le travail a été effectué avec un savoir-faire impressionnant car le résultat ne donne pas l'impression d'un collage à l'emporte-pièce, mais d'une intégration dans le dessin, comme si cette image était générée par la technologie employée par les scientifiques. Le lecteur repère un autre exemple de l'utilisation de références photographiques lors de la scène se déroulant dans les couloirs du Vatican ou lors de celle se déroulant à Jérusalem. Pour cette dernière, les artistes ont visiblement utilisé des photographies, mais elles ont été retouchées de manière à s'intégrer avec le reste des cases, ainsi qu'avec les personnages, sans qu'ils ne donnent l'impression d'avoir été surimprimés à la truelle sur les fonds photographiques.


Outre ces intégrations pour les endroits réels, l'infographie a également été utilisée pour les éléments conçus pour le récit. Dans le tome 2, un court de dossier de 2 pages montre quelques exemples de cette utilisation par Jean-Michel Ponzio. Il s'est servi de logiciels de modélisation 3D pour concevoir et développer le hangar abritant la nef Horus-Râ, ainsi que la nef elle-même, et pour donner forme et apparence aux tourbillons entourant la nef durant son voyage vers l'au-delà. À nouveau, il s'agit d'une utilisation intelligente de l'infographie qui permet de concevoir un environnement dans le détail et de s'assurer de sa cohérence spatiale quel que soit le point de vue à partir duquel il est représenté dans une case, ou d'intégrer des effets spéciaux cohérents au fil des pages. Le lecteur apprécie la consistance de la technologie décrite, ainsi son degré de plausibilité. Cet investissement dans la conception des environnements techniques apporte une forme concrète à ce qui est montré, une forme de réalisme sérieux dans les appareillages et les installations. Le lecteur peut se projeter en esprit dans ces endroits, sans avoir l'impression qu'il s'agit d'un décor de carton-pâte, de façades sans rien derrière, et des bidules dessinés sous l'inspiration du moment, sans souci de logique.


De la même manière les dessins de Jean-Michel Ponzio montrent des individus réalistes, avec des morphologies normales et des tenues vestimentaires ordinaires, tout en étant adaptées à chaque personnage. L'artiste se tient à l'écart des apparences standardisées ou des silhouettes trop parfaites. Le lecteur voit les marques de l'âge sur le visage de Katlyn Fork, et dans ses postures. Il constate la raideur du maintien de l'agent Black, et sa discipline physique, avec des vêtements stricts. Il voit que le pilote présente une assurance qui le rend plus expansif que l'agent Black. Il voit que les gestes de Georges Theillard traduisent une forme de sollicitude naturelle vis-à-vis de ses interlocuteurs. Le récit évite donc un parfum de série B trop prononcé, avec des personnages qui se conduisent comme des adultes, évoluant dans des endroits crédibles car proches du quotidien et utilisant une technologie convaincante parce que consistante d'un point de vue visuel. La qualité de la narration visuelle atteste que les auteurs prennent le lecteur au sérieux et qu'ils inscrivent le récit dans un autre registre que celui du spectaculaire, ou celui du surnaturel de pacotille.


Le lecteur se laisse emporter par ce reportage réalisé par une solide équipe créatrice, sur cette aventure scientifique dont l'ambition dépasse même celle d'un voyage dans l'espace. La mise en place occupe donc la première moitié du tome, avec cet enfant maintenu en vie artificielle dans un caisson de cryogénisation, et le recours à une technologie de science-fiction à base de tachyons. Les auteurs évitent de se lancer dans une explication forcément vaseuse sur cette technologie et demandent au lecteur de leur accorder sa suspension consentie d'incrédulité sur ce point. De toutes les manières, le lecteur se doutait bien que cette bande dessinée ne lui révélerait pas le secret de l'au-delà. La représentation du voyage spirituel sous une forme spatiale fonctionne bien, et le suspense augmente au fur et à mesure des pages car le lecteur se rend compte qu'il est bien incapable d'anticiper ce qui va se passer, de prévoir la direction que va prendre l'intrigue. Une portion de la deuxième partie du récit repose sur la progression en territoire inconnu et la survenance de dangers imprévisibles au cours d'un tel voyage. Une autre dimension du récit repose sur les personnages eux-mêmes, sur ce que ce voyage va révéler d'eux, sur ce qu'ils vont devoir affronter quant à leur personnalité, ou à leur histoire personnelle. À nouveau, les auteurs restent à un degré minimal de fantaisie, pour plutôt se baser sur des faits réels (un attentat à Jérusalem), ou une philosophie de vie compatible avec l'exercice du métier d'assassin pour raison d'état. Le récit n'en devient pas une étude de caractère pour autant, mais ces éléments lui évitent de rester à l'état de simple aventure avec des personnages interchangeables.


Le lecteur peut être venu à cette série soit parce qu'il connaît les auteurs et qu'il a déjà eu l'occasion d'apprécier leurs créations, soit parce qu'il est attiré par le thème du récit, à savoir un voyage vers ce qui se passe une fois qu'on est mort. Il découvre une bande dessinée d'une grande cohérence narrative, avec des visuels descriptifs et réalistes qui donnent corps au récit, et une intrigue avec un fort niveau de suspense du fait de son imprévisibilité. Il se retrouve à tourner les pages rapidement pour découvrir l'histoire, tout en se rendant bien compte que les auteurs ne vont pas forcément lui donner ce qu'il attend, c’est-à-dire lui dire ce qui se passe après la mort. 4 étoiles pour un récit naturaliste, sous forme de thriller, avec des personnages qui existent et un mystère bien géré.

Presence
7
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le 21 mars 2019

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