Du bon côté pour finir...
La fin d'une série parodique doit trancher : ou bien on poursuit le registre de la dérision jusqu'à l'ultime seconde, avec le risque de marquer la dite série du sceau d'un nihilisme pas forcément apprécié de tous, ou bien on récupère les éclaboussures irrévérencieuses que l'on a projetées un peu partout au cours du récit afin de divertir, et on clôt la narration sur un sourire bon enfant, qui a la vertu de faire digérer quelques écarts...
Garulfo a choisi le second parti. Il faut que tout rentre dans l'ordre avec la planche 46, et ce n'est pas commode, tellement on a semé d'embûches un peu partout.
Bon, déjà, la sorcière. Il y en a une, et il faut qu'elle soit inquiétante, sinon, quel intérêt ? Mais voilà, c'est une vraie sorcière, c'est-à-dire une femme à l'écoute des forces de la nature, et la voici, dès la planche 2, qui agit en bonne fée en écoutant l'amusant conciliabule d'animaux qui la sollicitent et la conseillent.
Et Romuald ? Pas commode à récupérer. Hargneux, orgueilleux, cynique, suffisant, prétentieux, méprisant, j'en passe et des plus aigres. LE méchant. Eh ben, figurez-vous, Ayroles parvient à le récupérer. Joli tour de scénariste. Comment ? D'abord, Romuald s'est un peu calmé quand Garulfo lui a dit son fait dans le tome précédent. Et maintenant, c'est lui qui adresse des reproches d'égoïsme à Garulfo (planche 5). Comme si l'intime fréquentation des deux compères aboutissait à une contamination mutuelle des vertus et des vices (processus positif pour l'équilibre psychologique, si l'un est le conscient, et l'autre l'inconscient !). Romuald semble s'être pris d'affection pour Garulfo (planches 17 et 27). En plus, il a l'air d'aimer vraiment la princesse, cesse ses méfaits, se met à parler avec sincérité de ses sentiments, et se pose en prétendant valable à la princesse Héphylie. De surcroît, au cours des combats, c'est quand même grâce à sa volonté et ses conseils que Garulfo s'en tire (planches 8 et 9, 31 et 32). Et, quand il en a les moyens physiques, Romuald montre que son courage physique n'est pas que de la gueule, mais qu'il sait se battre. De son côté, Garulfo perd ses dernières illusions sur la nature humaine (planches 11 et 12), ce qui fait que sa gentillesse excessive s'atténue.
Même la grosse brute de chevalier noir que combat Garulfo se confond subitement en effusions émotionnelles (planche 10).
Le dernier suspense du récit nous vient de l'ogre, dont on ne sait pas s'il va ou non bouffer la princesse. Les images qui le mettent en scène alternent délicats raffinements de décors et brutalité effrayante (planches 18, 19, 21, 30 et 31). Mais, finalement, lui aussi bascule du côté lumineux de la Force. La rédemption générale est achevée, et on attend l'inévitable concert de violons final qui doit conclure le récit. Y compris pour le Petit Poucet.
Les seules réserves concernent la place importante accordée à l'étrange petit lutin Bernardeau (planche 45), à tête de moustique, qui court beaucoup, mais dont le rôle reste limité, eu égard à l'énergie qu'il déploie. Et l'attention portée à un personnage secondaire assez fat (planche 45) s'explique mal.
On peut savourer : l'expressive discussion entre les animaux de la forêt la sorcière (planche 2), le nouveau message "subliminal -éditorial" proféré par la sorcière (planche 2), la vivacité polychrome des tentes et "trefs" (pavillons) dressés pour le tournoi (planche 3), le discours du chien, obligé de parler en chien (planche 16), les jolies vignettes de la planche 46.
Maïorana reprend ce qui pour lui est devenu une habitude dans "Garulfo" : une première planche sur laquelle une image unique est scindée en vignettes multiples. Cette fois, c'est la romantique cabane de la sorcière qui s'y colle, certes sommaire, mais perchée dans les arbres, et pourvue néanmoins de deux belles arcatures aux fenêtres, on a sa fierté ! Voilà une cabane qui en ferait rêver plus d'un, avec la vogue des cabanes perchées et les désirs de nature exacerbées par notre civilisation, qui prétend transformer ce que nous sommes (des primates forgés pour courir dans les prairies et les forêts) en homoncules de serre, de couveuses et de bureaux, condamnés à une immobilisation si propice à toutes sortes de maladies incurables...
La beauté des images, la drôlerie et la gentillesse foncière du scénario nous ont replongés dans une enfance, toujours là quand la féérie apparaît. Merci à Ayroles, MaIorana, et à Leprévost pour ses belles couleurs : ils ont bien travaillé !