Ce tome fait suite à Mécanoïde Curie - La dernière mission du Passe-Muraille (prologue et épisode 1) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 2 & 3, initialement parus ensemble sous la forme d'un album catonné en 2009, coécrits par Serge Lehman & Fabrice Colin, dessinés et encrés par Gess, avec une mise en couleurs réalisée par Céline Bessonneau. Cette histoire a bénéficié d'une réédition en intégrale La Brigade Chimérique, Intégrale agrémentée de précieuses et volumineuses notes de Serge Lehman.
Chapitre 2 : Cagliostro - Jean Séverac est tiré de son sommeil par toujours le même cauchemar, 4 entités indistinctes qui se répondent dans son esprit. Le 18 mars 1939, Théo Sinclair (Le Nyctalope / l'Œil de la nuit) intervient sur l'esplanade de Vincennes, avec ses agents du CID, pour capturer l'homme élastique (créé par le docteur Flohr). De son côté, George Spad se rend à l'hôpital américain pour rencontrer le docteur Séverac. Comme le titre l'indique, Giuseppe Balsamo (comte de Cagliostro) fait une apparition.
Chapitre 3 : la chambre ardente - À l'institut du radium, Irène Joliot-Curie montre quelques vieilleries à son frère Frédéric Joliot. Ils sont interrompus par la visite de Jean Séverac. Ce dernier leur montre une peinture représentant la Brigade Chimérique. Ils évoquent des légendes de la Grande Guerre : les anges de Mons, le dirigeable noir, la vierge des barbelés, un ours (le Baron Brun), un archange (le soldat inconnu), une infirmière fantôme (Matricia) un homme squelette (le docteur Sérum).
Après la lecture du premier tome, le lecteur a bien assimilé le principe de la narration : évoquer une multitude de héros populaires (pour la plupart oubliés, ou au mieux méconnus), dans une intrigue de grande ampleur inscrite dans l'Histoire, et plus particulièrement l'approche de la seconde guerre mondiale. Avec ce deuxième tome, il commence par constater que les coauteurs continuent de parsemer leur récit de ces personnages qui ont laissé une empreinte durable dans l'inconscient collectif, même si le grand public n'a pas retenu leur nom. C'est ainsi qu'il voit surgir Cagliostro et qu'il voit revenir l'homme élastique. En fonction de son inclination, il les approche comme des personnages prêts à l'emploi piochés pour les besoins de l'intrigue. Il apprécie leurs particularités et leur diversité. Il peut aussi concevoir leurs apparitions comme une occasion facilitée pour se renseigner à leur sujet, soit grâce aux présentations fournies, incluses dans l'édition intégrale, soit en se renseignant, par exemple, dans une encyclopédie en ligne.
Le récit tient sa promesse de montrer des surhommes en action. Le lecteur éprouve le plaisir de voir le Nyctalope entrer en action avec son organisation le Comité d'Information et de Défense (CID). Il est enfin possible de voir pourquoi ce monsieur d'une taille inférieur à la moyenne est considéré par les autres personnages, comme un individu avec qui il faut compter. C'est également l'occasion d'avoir quelques aperçus de la super-science à l'œuvre, en particulier le halo supernoir. Lehman & Colin piochent donc dans la littérature populaire et ramènent des trésors d'inventivité débridée. Un lecteur rationnel n'y verra peut-être qu'une forme d'imagination enfantine. Le lecteur amateur de littérature de l'imaginaire fond devant Palmyre (une héroïne métafictionnelle, tératophile et lesbienne, dixit Lheman) et la forme de la manifestation de ses pouvoirs.
Ce deuxième tome apparaît très dense en matière d'intrigue. La Brigade Chimérique est évoquée, ses membres sont nommés, et son historique est partiellement dévoilé. La position du docteur Mabuse sur l'échiquier politique est précisée. La nature des relations entre les Curie et Théo Sinclair devient plus claire. Le groupe Nous Autres est à nouveau mentionné. Avec ces 2 épisodes supplémentaires, le lecteur commence à discerner qui sont les principaux personnages, à savoir ceux dont les apparitions sont récurrentes d'un tome à l'autre : Jean Séverac, George Spad, Irène & Frédéric Curie, Théo Saint-Clair, Michel Joubert (le jeune garçon qui apportait un livre à signer à Irène Joliot-Curie dans le premier tome). Comme dans le tome précédent, ces personnages sont plus définis par leurs actions, que par leurs sentiments. Cette forme de narration maintient une distance entre eux et le lecteur, puisque ce dernier ne peut pas ressentir d'empathie pour des individus qu'il ne voit que de l'extérieur.
De la même manière, le lecteur a observé les particularités graphiques des dessins de Gess et il sait à quoi s'attendre. Les traits restent parfois un peu imprécis. Certains semblent un peu tremblés, un peu baveux, comme si le papier avait absorbé un peu trop d'encre, en rendant le contour imprécis. La gestion des arrière-plans s'est améliorée, c'est à dire que quand ils sont vides, cet état de fait est justifié par la nature de la séquence. Une fois acceptés ces traits hésitant entre la délimitation précise, et le coup de pinceau un peu pâteux, le lecteur apprécie mieux les autres particularités des dessins. Cela commence avec les personnages qu'il reconnaît au premier coup d'œil et qui disposent d'une forte identité graphique, sans être caricaturaux. Gess s'en tient à la description du Nyctalope dans les romans, ce qui lui donne une allure peu héroïque, et qui souligne son côté inquiétant, vu le respect dont bénéficie ce petit monsieur un peu empâté. Il retrouve avec grand plaisir George Spad avec sa silhouette élancée, et sa coupe garçonne.
L'apparence de Palmyre est très singulière avec sa grande tunique large. Gess la représente de telle sorte qu'elle constitue le trait d'union entre les personnages normaux, et l'apparence plus exagérée de Cagliostro. Jean Séverac présente une carrure impressionnante, sans être impossible. Il a des gestes et des comportements très normaux, avec une belle présence dans chaque page où il apparaît, même si les traits de contour un peu baveux aboutissent parfois à un modelé un peu imprécis de son crâne. Gess utilise à nouveau le dispositif consistant à ne pas dessiner de traits sur le visage des personnages éloignés, avec plus de pertinence que dans le premier tome. Les différents protagonistes évoluent sous les yeux du lecteur avec une apparence assez forte pour qu'ils en deviennent substantiels.
Le lecteur remarque que Céline Bessonneau maîtrise mieux ses techniques de mise en couleurs, ce qui aboutit à des dessins plus étoffés. Il remarque par exemple le bel éclairage bleuté de la pénombre de la chambre de Jean Séverac, ou encore la variation de nuances de la pelouse de Vincennes, le halo entourant les runes se manifestant autour de la grosse bestiole avec des tentacules, ou encore le discret motif imprimé sur le tissu du fauteuil du Nyctalope (à la dernière page de l'histoire).
Comme dans le tome précédent, Gess fait feu de tout bois pour adapter sa narration visuelle à chaque séquence. Le découpage de chaque page est taillé sur mesure pour ce qui est représenté, d'un dessin pleine page, à 14 cases sur la même page. Au choix le lecteur peut éprouver une forme d'irritation à ces changements incessants de mise en page, ou au contraire les percevoir comme une manière de donner une identité graphique pertinente à chaque scène. L'artiste modifie également sa façon de dessiner en fonction du sujet de la scène. Il peut s'agir de dessins traditionnels avec des contours tracés à l'encre, ou de cases peintes (pour l'évocation de la Brigade Chimérique, soulignant ainsi qu'il s'agit d'événements inscrits dans l'Histoire). À de rares occasions, le lecteur décèle aussi des photographies retouchées pour des éléments historiques.
Le scénario contient aussi bien des scènes de dialogue, que des scènes d'action. À chaque fois, Gess conçoit une mise en scène adaptée. La scène de réveil de Jean Séverac est calme et contemplative. La scène d'intervention du Nyctalope et du CID contre l'homme élastique fait bien ressortir l'étrangeté du halo supernoir. La page où George Spad se plonge dans le dossier de Jean Séverac présente une structure originale qui permet aux coscénaristes d'insérer toutes les nombreuses informations, tout en gardant un attrait visuel à la page qui montre bien plus que ce que raconte le texte. L'évocation de la Brigade Chimérique sait lui conférer un aspect mythologique et légendaire, avec une conviction charmante.
En prenant un peu de recul, le lecteur s'aperçoit également que les coscénaristes font plus que manier une intrigue ambitieuse, avec des personnages hauts en couleurs. En repensant à Palmyre, il constate qu'ils ont bien repris sa dimension métafictionnelle puisque cette femme intervient pour apporter son aide à George Spad (Renée Dunan) qui est sa créatrice, la romancière qui a créé ce personnage fiction. Le lecteur peut y voir l'auteur sauvé par son personnage, c'est-à-dire comme Lehman et Colin sont mis en avant auprès du lecteur en tant qu'intermédiaires mettant en valeur une ribambelle de personnages. Ce sont ces derniers qui fournissent matière aux auteurs pour réaliser un ouvrage leur permettant d'exister aux yeux du public.
En tout état de cause, ce deuxième tome confirme la très bonne impression du premier, avec une prise d'envergure de l'intrigue bien menée, des évocations savoureuses de personnages oubliés, et une narration graphique qui gagne en qualité.