Avant toute chose, il convient que je me présente succinctement. J’ai 36 ans, je suis un homme. Voilà. Et pourtant, j’aime Lou. Je l’adore, même. Non content d’être un vent de fraicheur graphique dans la BD avec ses jolis tons colorés et les traits caricaturaux et pourtant expressifs de ses personnages, Lou est avant tout un bol de tendresse et d’humour. A mi-chemin entre les situations comiques et les événements tragiques, Lou est une jolie histoire sur les aventures d’une jeune fille presque comme les autres qu’on suivra dans sa découverte de l’adolescence, là où la joie de vivre se dispute souvent la vedette avec le vague à l’âme.
De ce fait, Lou me parle. Si je suis maintenant un homme adulte, Lou dépeint parfaitement l’adolescent(e) que nous avons tous été un jour. Julien Neel, sous des atours de BD légère pour jeunes filles, a su créer un petit monde ou le second degré de lecture prédomine, tout en douceur, tout en plaisir, sans que cela devienne rébarbatif pour un sou.
Lou, c’était tout ça.
Oui. C’était. Car Lou, hélas, n’est plus. Seule subsiste l’ombre de l’univers instauré par son auteur qui, trop enclin à vouloir nous exposer un message et des réflexions bien personnels, accouche ici d’un septième tome lourd, fade, mièvre, et pour tout dire : ennuyeux.
Pour étayer la critique de ce tome 7, revenons cela dit sur le tome précédent. On pouvait déjà s’inquiéter d’un virage plus que douteux dans les aspirations de Julien Neel après la lecture du tome 6. Véritable cas d’école d’un sabordage en bonne et due forme d’une œuvre jusque là parfaite dans son exécution, L’âge de cristal jetait délibérément aux oubliettes tout ce qui avait fait le succès de Lou pour nous assommer d’une aventure incompréhensible, totalement coupée du reste de la série, dans un monde où la science-fiction s’immisçait maladroitement. Tout ça en « tuant » bon nombre de personnages. Richard, l’amant attentionné de la mère de Lou ? Pouf, il largue sa bien-aimée pour vivre dans sa « graoute », chose incompréhensible compte tenu du caractère du personnage. Les copines de Lou ? De vulgaires « accessoires » qui n’avaient plus aucun rôle, plus aucune raison d’exister. Tout cela, couplé à des dessins parfois maladroits et bâclés, aura contribué à faire de ce tome 6 une véritable catastrophe qui n’a trompé personne, les avis très critiques ayant alors pullulé sur le net.
Comprendre les intentions qu’avait Julien Neel n’est pourtant pas compliqué. L’âge de cristal était un terrain d’expérimentation pour l’auteur qui, sans doute, a voulu offrir « autre chose ». Un tome qui était là pour offrir SA vision d’artiste. Hélas, un exercice de style ne peut se permettre d’être une action individualiste. En tant qu’auteur d’une série à succès maintenant suivie par de nombreux fans, Julien Neel avait des obligations dont celle, pourtant évidente, de proposer quelque chose qui ne trahisse pas les codes jusque là établis. En ne se focalisant que sur ce qu’il voulait faire, Julien Neel a accouché d’un 6ème tome égoïste, empreint une vision des choses trop personnelle pour être non seulement comprise mais aussi appréciée. Il en a oublié que Lou, dorénavant, appartient un petit peu à son public. Il ne peut ainsi la transformer, ni déformer son univers, ni faire la « tambouille à sa propre sauce ». Et cela même si cela implique de passer sous silence des messages ou des choses qui seraient importants pour lui ; il y aura d’autres œuvres à créer pour cela. Bref ce tome 6 n’était qu’un exercice de style trop personnel, raté, aux aspirations trop incompréhensibles et égoïstes pour plaire à un public.
Ce tome 7 était donc pour ma part paradoxalement attendu. En effet, après une telle catastrophe, je me demandais comment l’auteur allait pouvoir rectifier le tir. Et surtout, s’il allait le vouloir. Mais nul doute, je pense, que Julien Neel s’est fait un peu taper sur les doigts par sa maison d’édition qui a bien du constater que « quelque chose n’allait pas ». Etant donné qu’il était pour moi assez inconcevable de faire plus mauvais que le tome 6, j’ai donc entamé ce septième tome avec la curiosité d’un petit garçon tâtant un corps inerte du bout d’un bâton. Lou était-elle morte ? Pouvait-elle ressusciter comme par magie, Neel pourrait-il recréer la « magie » des premiers volumes ? Hé bien hélas, malgré une qualité certes bien meilleure que le tome 6 (il aurait été difficile de faire pire…), ce ne sera pas le cas.
Le terreau de base de ce septième volume était pourtant intéressant : Lou, sa mère, et toutes ses amies décident de partir en vacances chez cette grincheuse de grand-mère à Mortebouse pour un retour aux sources. Pas mal. Cela pouvait amener son lot de situations cocasses tout en plongeant les copines de Lou dans une campagne qui leur aurait été bien étrangère.
Survient alors un premier souci avec le personnage de Marie-Emilie (« Marie-Machin »). Nous découvrons notre gothique préférée totalement aux antipodes de son personnage. 3 pages seulement après l’ouverture de ce tome, la demoiselle avouera à Lou qu’elle en a fini avec son attitude de rebelle, s’étant rendu compte qu’il est « moins fatigant de sourire que de tirer la gueule ». Ah bah oui, peut-être. Le message est sans doute juste, malgré sa simplicité un peu trop naïve et mièvre. Le souci, c’est qu’on perd donc dès le début un ressort comique de la série. Adieu Marie-Emilie la chieuse qui faisait rire, maintenant on a une ado transparente, fade et ennuyeuse, dont les interventions seront inutiles tout au long de ce tome.
Deuxième problème : l’absence de Karine, la copine un peu « racaille » de Lou, qui a décroché un job d’été. On perd là encore un personnage et, s’il rejoindra cela dit le petit groupe au milieu de l’aventure, il ne servira absolument à rien.
Reste la 3ème copine de Lou, Mina, qui aurait pu proposer un ressort comique par sa difficulté à s’adapter à la vie campagnarde. Totalement paniquée par l’absence de Wifi à Mortebouse, Mina est assez drôle… le temps de 5-6 pages. Car elle aussi tournera rapidement en un personnage sans saveur, sans raison d’être, dont on oubliera même la présence.
On retire donc l’intérêt des interactions entre Lou et ses 3 copines, et que reste-t-il ?
La grand-mère ? Certes, mais au bout de 3-4 fois où cette vieille ronchon pousse sa gueulante pour un oui ou un non, cela devient non seulement redondant mais aussi un brin ridicule.
La mère de Lou ? Elle est quasiment transparente, elle aussi, et n’interagit quasiment jamais avec sa fille.
Tristan, le « grand amour » de Lou ? Quel ennui ce type, sérieusement ! Non content d’être encore une fois au centre d’une relation dont on a fait le tour (« Je t’aime mais je sais pas trop, mais en fait oui mais j’ose pas, mais y’a quelque chose de spécial entre nous, mais je sais pas comment faire, et peut-être que j’en ai pas envie, mais oui mais non… »), Tristan deviendra un ado renfrogné qui, lui aussi, n’a plus aucune raison de côtoyer Lou.
Paul, l’artiste marginal pour lequel Lou a un peu le béguin ? Il aurait tout aussi bien pu être absent, tant sa présence n’apporte rien et tant ses interactions avec Lou seront rares et inutiles.
Enfin, pour compléter ce tableau assez déprimant de personnages bien peu truculents, Julien Neel réunira tous les « seconds couteaux » des épisodes précédents. Le père et la mère de Marie-Emilie, le copain de Mina (et leur relation qui, là encore, n’évolue pas d’un sou avec un coup je t’aime et un coup je te plaque), le copain de Karine qui reste dans son costume de grappe de raisin (c’était rigolo lorsqu’il y avait une justification, mais là c’est tout bonnement ridicule), Clément Fifrelin qui suite à une chirurgie esthétique passera tout le tome la tête dans un bandage (ou comment croire qu’une idée va faire rire pendant tout un tome quand on s’en lasse déjà au bout de 3 vignettes…). Puis enfin Manolo et Presto, les deux garçons que tout le monde a oublié et qui auraient mieux fait de laisser la place à de nouveaux personnages.
L’un des gros soucis de ce tome est bien là. On a une pléthore de personnages, mais ce melting-pot qui joue trop la carte du « fan service » est fade, sans aucune raison d’être. Il n’y a absolument rien de nouveau, les personnages stagnent ou régressent. Et quand ils osent, rarement, changer, ce n’est pas pour le meilleur (cf mon exemple de Marie-Emilie).
Tous les personnages et par extension toutes les interactions entre eux sont donc ennuyeux. On les regarde parler. De tout, de rien, de leurs petites réflexions plates sur la vie. Et on en est déjà à 20 pages, et rien ne bouge, rien de nouveau, rien d’amusant, aucune péripétie, aucune nouvelle rencontre… Le but de Lou et ses amis, dans ce tome 7, sera de construire une cabane dans un arbre. Et ils s’y emploieront pendant des pages, et des pages. Sans, encore une fois, que quelque chose de foncièrement nouveau n’arrive. Oh, il y aura bien une amourette homosexuelle entre deux personnages mais, et je reviendrai là-dessus, elle n’apporte rien à l’histoire. Ni humour, ni réflexion, ni sentiments.
Mais s’il n’y a ni intérêt dans les personnages, ni péripéties, ni trame scénaristique intéressante, comment Julien Neel a-t-il pu tenir presque 50 pages ?
Hé bien c’est là le gros problème de ce 7ème tome. Malgré une ligne narrative plus classique et un univers plus raccord avec ce qu’il avait établi dans les premiers volumes, Julien Neel tombe encore dans les travers du tome 6. C’est-à-dire qu’il cherche encore une fois à nous exposer ses réflexions personnelles, sa vision des choses, et sa philosophie (très bas de gamme) sur la vie et notre monde actuel. Certes, la série Lou a su tirer son épingle du reste de la BD francophone par un savant équilibre entre humour, tendresse, et réflexion. Le tout se mariait bien, se mélangeait doucement en des proportions équitables. Or, si vous retirez l’humour et la tendresse, que reste-t-il ? Hélas quelque chose d’ennuyeux qui, se voulant trop intello, sombre dans une platitude aberrante. Sortis de « Lou et ses amis veulent construire un arbre » et « Lou et ses amis discutent de la vie », il n’y a effectivement rien à se mettre sous la dent.
Et pour moi, le summum de mièvrerie, et je dirais même de bêtise, culminera avec les pages 40 et 41 du tome. D’un coup, comme ça, lors d’une fête nocturne, l’un des personnages dira : «
Et si on parlait d’amour ?
». Surviendra alors une discussion entre les protagonistes qui restera pour moi dans les annales comme un modèle de réflexion bateau, de mièvrerie exacerbée couplée à une tentative ratée (mais alors pour le coup, totalement !) de philosophie. Cela en tentant même parfois l’approche poétique, mais avec une absence totale de talent. Certes, n’est pas Ronsard qui veut, mais quand je lis un personnage sortir des clichés comme :
L’amour c’est comme le courant d’une rivière… Il y a des moments où
on ne perçoit qu’un fin filet d’amour. Et puis il y a le flux qui
t’emporte : la vie
ou encore :
L’amour serait une quête de l’harmonie
, je me dis que Julien Neel ferait mieux de ne pas se frotter à des domaines qu’il ne maitrise à l’évidence pas du tout. Le message est mal amené, maladroit, niais, bête, lourd, et son exécution dans ce tome arrive avec la délicatesse d’un troupeau d’éléphants dans un magasin de porcelaines. Je n’avais plus été aussi mal à l’aise pour un auteur depuis la lecture du tristement célèbre tome « Le ciel lui tombe sur la tête » dans la série Astérix ; c’est pour dire !
La conclusion de cette aventure où finalement rien de notable ne se sera passé fera la liaison avec les événements relatés dans le tome 6. Le monde subira un cataclysme de grande envergure qui désactivera tous les réseaux de communication.
Dès lors, je pense comprendre où Julien Neel veut en venir. En imaginant des vacances dans un Mortebouse coupé du monde où les amitiés et les valeurs simples perdurent, et en amenant ce bouleversement mondial, l’auteur veut nous rappeler aux valeurs simples de la vie. Ne serait-on pas mieux sans l’Internet qui nous isole ? Ne serait-on pas mieux dans un immense Mortebouse où l’on profiterait d’un retour à la nature et où les rapports humains seraient francs ?
Oui, non, peut-être, et à vrai dire on s’en fout. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce genre de réflexion n’a rien à faire dans une BD comme Lou. Ou tout du moins, pas dans des proportions aussi importantes qui prennent le pas sur tout le reste.
Je ne connais évidemment pas Julien Neel, mais j’ai ici pour moi l’impression d’un auteur qui sombre dans la très tendance mode « bobo » actuelle. Celle qui prône le retour aux sources, aux valeurs simples, au bio, à l’abolition des smartphones. Celle qui veut nous parler d’amitié, d’amour, d’art, d’acceptation de l’autre. Celle qui tente des approches philosophique ou poétiques, parce que « l’art c’est trop beau »… mais qui se confronte hélas à sa propre incompétence en distillant des messages dignes d’un collégien de 3ème.
Julien Neel donne, tout simplement, le sentiment de vouloir passer à autre chose. Quelque chose de plus personnel, intimiste, délivrant des messages plus profonds (même si, encore une fois, il ferait mieux d’abandonner ce domaine compte tenu de la lourdeur sirupeuse de ses réflexions traduisant un manque de talent certain en la matière). Le problème n’en serait pas un s’il avait tenté son exercice de style dans une nouvelle œuvre au lieu de gangréner complètement sa série Lou, laquelle n’avait pas à s’embarrasser de telles lourdeurs.
Lou passe alors d’une série drôle et tendre à quelque chose de vaguement gauchiste, voire même un brin politisant. Revenons-en rapidement à la relation homosexuelle entre deux des personnages. Arrivant de manière assez abrupte, elle déséquilibre un peu le lecteur qui, évidemment, attend de voir les réactions des autres personnages, voire même quelques petites situations cocasses ou douces-amères.
Il n’en sera rien, et leur amour passera comme lettre à la poste. C’est d’un point de vue éthique une bonne chose. Mais d’un point de vue purement récréatif, dans une BD qui justement s’amusait à traiter des problèmes de l’adolescence, on s’étonnera de voir ce sujet totalement ignoré.
Pour moi, la volonté de Neel de ne pas discuter sur la relation homosexuelle des deux personnages trahit encore une fois les aspirations « bobo » et gauchiste du monsieur. Il ne va pas discuter plus que de raison de l’homosexualité car c’est quelque chose qui n’est pas répréhensible, et tout ce qui compte c’est bien l’amour. Et il va donc faire passer cette relation pour normale aux yeux de tous les autres personnages.
Certes c’est bien joli tout ça. Mais Neel rate quand même le coche là où il aurait pu, justement, apporter un peu de péripéties et d’évolution dans les rapports entre les personnages. En comparaison, le dernier volume de la BD « Les Nombrils », de Delaf et Dubuc, profitait justement d’une relation homosexuelle entre 2 personnages pour apporter tout son lot de situations rocambolesques, de réflexions, de moments de joie et de tristesse propres aux découvertes de l’adolescence. Tout ce que se permettait de faire Lou à ses débuts, en somme. Mais non, il ne se passera décidément rien de bien folichon dans ce septième tome, il est plus intéressant de discuter platement de la vie qu’offrir de l’humour et des péripéties.
Cette 7ème aventure de Lou restera donc quelque chose de plat et voulant trop être « intello » pour son propre bien. Si l’on évite le grand gloubi-boulga incompréhensible du volume précédent, on ne retrouve cependant pas l’équilibre savant des premiers volumes entre humour, tendresse, et poésie. Neel semble se perdre complètement dans ses propres réflexions, donne le sentiment de vouloir passer à autre chose. Pour faire court et dire les choses vulgairement, j’ai vraiment l’impression qu’il se fait chier avec Lou et veut vite en finir, quitte à saborder le navire. Et pourtant, on ne demandait pas la lune. Juste quelques péripéties, quelques nouvelles rencontres, quelque chose qui fait rire et parfois un peu pleurer aussi.
Sans oublier une héroïne fidèle à ce qu’elle était. Lou, c’était un peu la Punky Brewster de la BD : drôle et pleine d’énergie, suivant ses propres désirs et sa propre mode, affrontant le monde par son espièglerie et son dynamisme, et irradiant de sa joie de vivre tout son entourage. Or, Lou est dorénavant devenue une ado ennuyeuse et mélancolique qui se fond dans le décor et se dépatouille dans des relations ennuyeuses (Tristan, encore une fois) et des situations monotones.
Reste un dessin qui, malgré quelques rares planches un peu bâclées (la toute première, par exemple), demeure toujours aussi joli et coloré. Et les traditionnels versos de couvertures où nous retrouvons pour un moment, le temps de quelques griffonnages, la Lou d’antan qui manque tant à l’aventure. Cela fait bien peu, hélas, pour remonter la note.
(Merci à ceux qui m’auront lu, il est vrai que c’était assez long mais il y avait décidément beaucoup de choses à dire.)