Combat d'androgynes
Après s’être bien amusés en procédant à des insertions de thèmes ésotériques qui raviront les amateurs de lecture à plusieurs niveaux, Jodorowsky et Moebius doivent maintenant faire évoluer une...
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le 13 avr. 2015
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BD franco-belge de Alejandro Jodorowsky et Jean Giraud (Moebius) (1988)
Après s’être bien amusés en procédant à des insertions de thèmes ésotériques qui raviront les amateurs de lecture à plusieurs niveaux, Jodorowsky et Moebius doivent maintenant faire évoluer une action assez complexe dans le sens général qui plait remarquablement aux deux auteurs : la supériorité de l’esprit sur la matière, cette dernière étant plus spécialement représentée ici par l’entassement urbain, la haute technologie, le consumérisme et l’abrutissement médiatique qui empêche de réfléchir.
Cet épisode (dans lequel on ne voit pas encore passer cette « Cinquième Essence », d’inspiration alchimique, qui est dans le titre) voit se déployer le génie graphique de Moebius, qui doit créer des images en trois directions différentes :
• les combats entre les forces du Bien (le groupe d’aventuriers et l’Incal) et les monstres représentant le mal (l’ « Imperoratriz » contaminée par la Ténébre)
• les décors de science-fiction nécessaires, y compris dans l’espace interstellaire
• les images mystiques-symboliques, gorgées de géométries et de symétries rayonnantes de lumières pures, et que l’on dirait parfois inspirées de quelque traité d’alchimie baroque.
Quant au premier thème, les planches 1 et 2 opposent les tentacules acérés et enveloppants de la Ténébre, géométriquement en contraste avec la lourdeur arrondie de la méduse qui la combat. Planches 36 à 38, c'est la pureté géométrique idéale de Solune qui s'oppose au chaos des griffes noires de la Ténébre.
Second thème : l ‘« Étoile de Guerre » (planche 8) ne rappelle pas assez l’ « Étoile Noire » de « Star Wars » pour qu’on puisse y enquêter suspicieusement quelques transferts d’inspiration. La salle du computeur central et les canons spatiaux (planches 24 et 25) présentent d’intéressantes formes composites.
Pour le troisième thème, les deux pyramides emboîtées du Solune-Incal, rigides comme des diamants, contrastent agréablement avec les formes fluides et paresseuses des méduses (planche 4). La méduse de la planche 9, en parasol géant, contraste vivement avec les raideurs du décor de l’assemblée impériale. Et le paroxysme du combat entre Solune et le Techno-Centreur s’accompagne de stylisations symboliques rapprochant du hiératisme attendu en matière de représentations divines (planches 32-33). Planche 38, l’un des corps du rebis alchimique de Solune porte même des symboles sur l’avant du corps, à hauteur de chaque chakra.
Moebius décrit astucieusement des actions simultanées qui se bousculent quelque peu en mêlant et en superposant des illustrations pleine page dépourvues de cadre et des vignettes classiques espacées entre elles et faisant apparaître un arrière-plan (planches 12 et 13, 28 à 34). Le bâtiment de l’assemblée impériale (planche 35), sorte de cloche à strates successives très évasée, change de la raideur métallique des décors intérieurs des planches précédentes par ses ornements baroques chantournés insolites.
John Difool est plus anti-héros que jamais : à plusieurs reprises, il nous pique sa crise, menace de laisser tomber l’affaire, de quitter l’équipe d’aventurier pour aller se planquer sur quelque planète paradisiaque, si possible en compagnie d’Animah, qui vaut en effet le détour. John Difool est donc insuffisamment évolué, mal sorti de son égoïsme et de sa médiocrité, dans lesquels le voisinage de la Ténébre l’enferre volontiers.
On est ravi de retrouver de retrouver Solune en chair et en os (planches 28 et 29), petit prince (princesse ?) sexy des forces spirituelles, terminant son combat contre le techno-centreur dans une gerbe de géométries mystiques (planches 32-33). On notera, sur le plan symbolique, que Solune retrouve son androgynie réelle en se dédoublant pour combattre un autre androgyne, maléfique celui-là (planche 38). Lequel androgyne maléfique tire graphiquement du côté des monstres de Druillet (sans y atteindre) et des anneaux chitineux tentaculaires d’un Giger (sans atteindre non plus sa perfection maléfique et biomécanique).
Jodorowsky ne s’embarrasse pas de ruses pour allonger son histoire : planche 4, on voit sortir de quasi nulle-part un nouvel ennemi, appelé « le Vortex Noir », heureusement identifié à quelqu’un de déjà connu dans la série ; planche 5, on sort d’une amnésie apparemment irrécupérable grâce à un bio-computeur branché sur le cerveau d'un personnage. Le grand arsenal de la science-fiction est de service : hyperespace (appelé « subespace »), matérialisations de vaisseaux, lévitation, champs de force, combats spatiaux, suspense que l’on décompte à la seconde près... Le plus surprenant, à partir de la planche 40, est l’accumulation de conditions posées pour pouvoir combattre la Ténébre : non seulement il faut prier et méditer (méditation « téta »), irruption brutale de la mystique après une longue séquence de baston sidérale et visqueuse, mais on pose la condition que tout est foutu si un seul vivant de l’univers ne médite pas ; prélude, évidemment, à de nouvelles aventures pour persuader les réfractaires à la méditation.
Toujours à partir de la planche 40, on remarque que les dessins de Moebius, vastes et spectaculaires dans le reste de l’album, rapetissent et s’entassent dans chaque planche pour tenir la pagination prévue, au moment même où les discours s’allongent et tendent à les encombrer.
L’aventure est splendide et palpitante, mais on y trouve ces expédients et ces approximations coutumières de Jodorowsky qui, pour en mettre plein la vue, glisse rapidement sur des transitions peu vraisemblables.
Créée
le 13 avr. 2015
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