La Dérisoire effervescence des comprimés regroupe un choix d’histoire courtes publiées dans le mensuel (À suivre), une sorte d’alternative à Fluide Glacial dans le registre de la BD pour adultes. Un registre tourné vers la satire et la dérision que l’on devine sans peine dans les traits de Boucq, qui possède un sens du détail fort affriolant. Chez ce dessinateur, le visage est caricatural ; il déforme et grossit chaque trait pour faire transparaître le côté le plus ordurier de tout caractère. Les personnages sont au choix grossiers, véreux, décharnés, benêts, délurés, ça se devine tout de suite, et la satire s’en savoure d’autant plus.
Mais que satirise Boucq ? Ce qui se manifeste, c’est donc une profonde réflexion sur la modernité. De la culture à la technologie, en passabr par une bureaucratie kafkaïennee et les complexes physiques, Boucq part de thématiques sociales pour les décliner en situations absurdes, dans une extravagance à la fois répugnante et jubilatoire. Entre humanisation des objets (quand il faut se pâmer d’amour pour faire démarrer une voiture) et réification de l’être humain (des bébés ne ressemblant à rien de moins que des cubes, « plus facile pour le rangement »), les renversements s’inscrivent dans une mécanique métaphorique déroutante.
L’amour se fonde dans la mécanisation du monde, la pauvreté se médiatise pour générer le profit, les sauvages parmi lesquels vit Robinson Crusoé deviennent artistes contemporains dont les concepts s’expliquent par excès langagiers qui n’auraient pas déplu à Achille Talon, la digestion se fait par le biais d’une machinerie ultrasophistiquée reproduisant le système digestif… Boucq retranscrit une vision dégoûtante et ordurière d’une modernité aujourd’hui dépassée, mais qui restitue, pour le lecteur d’aujourd’hui, l’état d’esprit d’un contemporain du début des années 90.