Pourriez-vous prendre un colis pour un de mes amis à La Havane ?

Ce tome fait suite à Rouge Piscine qu'il vaut mieux avoir lu avant car il s'agit de la première partie de l'enquête. Il est paru pour la première en 1999, écrit, dessiné, et encré par André Taymans, avec une mise en couleurs réalisée par Bruno Wesel. Il a fait l'objet d'une réédition en 2017 dans Caroline Baldwin Intégrale T1: Volumes 1 à 4, édition respectant le format initial. Cette histoire est parue directement en album, avec une pagination adaptée, inférieure à celle des 2 premiers albums.


L'histoire s'ouvre avec une page de bande dessinée récapitulant les événements du tome précédent en 12 cases. Puis l'histoire reprend son cours : 2 voitures de police sont arrêtées les gyrophares en marche, devant la station-service aperçue lors de la scène d'ouverture de la première partie. Le shérif est en train de s'adresser aux habitants réunis sur place suite à la découverte du cadavre scalpé du pompiste. Ils exigent de savoir la vérité, et le colonel Norton (chef de la ligue de moralité) en rajoute en indiquant que le pompiste Hans a reçu un juste châtiment pour avoir fait commerce de revues pornographiques. De retour dans sa voiture, il passe un appel pour indiquer à l'assassin qu'il a été trop loin, mais celui-ci lui rétorque qu'il prend les choses en main. Le lendemain l'inspecteur Philips rend visite à Caroline dans la ville d'Andie. Il la retrouve en train de réfléchir au fond de la piscine vidée de son eau. Il reconnaît qu'il n'a pas d'indice sur le meurtre, si ce n'est le nom de l'individu (Manuel Perez) qui fournissait Tim Allen en voitures de collection des années 1950, importées de Cuba.


Caroline Baldwin décide d'aller rendre visite à Manuel Perez. Ce dernier lui parle de Cuba, son pays d'origine, de ses affaires avec Tim Allen, et de Sally Rollins, la jeune femme qui posait pour les couvertures de ses livres. Cette dernière a décidé de rester à Cuba quand ils se sont séparés. Caroline est persuadé qu'elle doit retrouver Sally Rollins pour faire progresser son enquête. Elle accepte d'y emmener du shampoing et des savons pour la famille de Manuel Perez. Dans l'avion qui l'emmène là-bas, elle accepte de changer de place avec un monsieur aux cheveux blancs qui lui rappelle son grand-père décédé. Arrivée sur place, elle accuse le coup de la chaleur et finit par aller prendre un daïquiri frappé à la terrasse de son hôtel. Elle s'y fait aborder par une jeune femme s'appelant Maribel qui lui demande de lui offrir un Coca.


Comme le laisse supposer le résumé concis de la page d'ouverture, il y a de fortes chances que le lecteur alléché par ce tome 4, le soit surtout parce qu'il a lu la première partie de l'histoire dans le tome 3 et qu'il souhaite en connaître le dénouement. Il sait aussi qu'André Taymans lui a implicitement promis un voyage touristique à Cuba. Celui-ci a bien lieu et le lecteur apprécie à sa juste valeur de pouvoir bénéficier ce voyage aux côtés de Caroline, à commencer par le palace hôtel et sa terrasse qui n'accueille que les touristes, à l'exclusion des cubains, sauf s'ils sont accompagnés par un touriste. Il aimerait bien pouvoir se trouver avec elle sur le toit de l'hôtel pour danser une fois la nuit tombée. Il la suit quand elle déambule dans les rues de la Havane, du port aux avenues ombragées, jusqu'à l'intérieur d'une fabrique de cigare où ils sont roulés à la main. Il pénètre également dans une cour intérieur pour se rendre dans un petit appartement, puis il s'envole pour Trinidad, avec la montée des marches d'un beffroi, dans une scène en hommage à Vertigo (1958) d'Alfred Hitchock. Les dessins précis et propres sur eux de l'artiste permettent de laisser son regard s'attarder sur les détails des architectures et de l'urbanisme pour un aperçu au calme de chacun de ces endroits, comme un touriste ayant le temps de regarder autour de lui. Cette composante des aventures de Caroline Baldwin reste un attrait important de ses albums, nourri par les voyages d'André Taymans, et ses photographies de repérage.


En ouvrant un album de la série, le lecteur s'attend aussi à ce que Caroline Baldwin réalise une nouvelle conquête masculine et à une ou deux scènes de nudité. Il y a bien sûr ce plaisir particulier pour le lecteur masculin, mais depuis le début ces passages participent aussi à faire apparaître sa personnalité. Elle séduit donc Alberto Ruiz, accepte de danser avec lui, puis de passer la nuit avec lui. L'artiste réalise 4 cases dans la pénombre, mais sans ambiguïté, puis montre son héroïne est nue au réveil. Il s'agit d'une forme d'érotisme soft où Caroline indique qu'elle n'est pas dupe du comportement de son partenaire d'une nuit. Dans le même registre, Caroline picole de temps en temps, en particulier quand elle est sous l'emprise d'une émotion négative comme le fait d'accuser le coup après avoir découvert un cadavre. Il ne s'agit pas d'une consommation d'ivrogne, mais plus d'un goût pour l'alcool et ses effets, sans dépendance. Le lecteur n'éprouve pas la sensation de devenir un voyeur ou un gêneur dans ces moments-là. L'auteur les présente comme moments ordinaires de sa vie, comme faisant partie intégrante de son quotidien. Il assiste de la même manière aux autres moments, les plus nombreux, car les premiers ne représentent que 2 pages sur 46 de bande dessinée.


Pendant cette deuxième partie, Caroline Baldwin continue de se comporter en être humain plausible et crédible. Elle est toujours affectée par le décès d'un proche dans le tome précédent, et par les morts dans sa piscine, au point qu'elle a décidé de ne plus la remettre en eau. Elle se laisse charmer par la gentillesse de Manuel Perez. Elle prend conscience qu'elle associe son voisin dans l'avion au souvenir de son grand-père défunt (voire tome 2). Elle éprouve de la compassion pour le sort de la cubaine qui lui demande de pouvoir s'asseoir à sa table en terrasse, et pour la chanteuse qui comprend qu'elle est en danger. Le lecteur voit en elle une femme qui sait ce qu'elle veut, prête à prendre des risques, décidée à aller jusqu'au bout, mais aussi attentive aux autres, et capable d'empathie. L'auteur traite son personnage avec respect montrant ses capacités physiques, sa curiosité qui lui permet de progresser dans ses enquêtes. Le lecteur voit qu'elle change de tenues régulièrement, non pas pour faire étalage de sa garde-robe, mais en fonction des circonstances, de son occupation et du climat. Pour la danse sur le toit en terrasse, elle porte pour la première fois une petite robe noire qu'elle sera amenée à porter à d'autres reprises dans les tomes suivants. Quels que soient ses vêtements, André Taymans prend soin de ne pas la transformer en pinup, de ne pas la réduire à un objet du désir.


Le lecteur retrouve les caractéristiques des dessins de l'artiste : une fausse ligne claire, avec des traits supplémentaires à l'intérieur des formes détourées pour marquer les plis et les textures, et une mise en couleurs naturaliste qui incorporent de discrets dégradés pour ajouter une touche de volume. De ce fait, les dessins apparaissent un peu plus chargés que ceux d'une ligne claire rigoureuse, tout en donnant une impression de tout public, et de facilité de lecture. À plusieurs reprises, le lecteur peut apprécier l'inventivité visuelle de l'artiste dont l'intérêt des dessins ne se limite pas à leur composante touristique, ou à la séduction ordinaire du personnage principal. Il se surprend à détailler à nouveau l'architecture de la villa d'Andie. Il est surpris de retrouver Caroline assise au fond de la piscine, pour un visuel étonnant. Il regarde Manuel Perez profiter du confort de son fauteuil en sirotant une limonade à l'ombre d'un arbre majestueux. Il observe les employés en train de rouler des cigares. Il s'avance discrètement dans la salle de bain d'un policier ripou en train de prendre sa douche. Il apprécie le bref hommage à Fenêtre sur cour. Les dessins peuvent donner une impression de banalité du fait de leur évidence, mais la narration visuelle s'avère riche et savamment construite.


Le lecteur revient aussi pour connaître le dénouement de l'intrigue. Dans la préface de l'intégrale, Anne Matheys souligne que l'auteur souhaitait réaliser une enquête policière plus dense. Comme dans le tome précédent, le lecteur relève une ou deux coïncidences bien pratiques, comme le fait que Caroline voyage à côté de celui qu'elle surnomme grand père qui se trouve aussi au bon moment pour la raccompagner à son hôtel alors qu'elle est éméchée. Il en va de même pour le cadeau fort opportun du flacon de champoing. Pour le reste, l'intrigue tient la route, et Taymans évoque la situation géopolitique de Cuba sous le coup d'un embargo, utilisant la situation avec doigté. Il ne se contente pas d'évoquer Fidel Castro, car il mentionne également Fulgencio Batista et les intérêts économiques antagonistes sur l'île. Caroline Baldwin prend peu à peu conscience qu'elle met les pieds dans une machination ambitieuse, tout en étant d'une taille assez réduite pour passer inaperçue. Elle progresse à la fois par coup de chance et par déduction, tout en se heurtant à des obstacles dressés sciemment, ou faute à pas de chance. De ce point de vue, le scénariste trouve une voie qui reste plausible, en se tenant à l'écart de l'énigme policière avec détective aux petites cellules grises de type Hercule Poirot, sans non plus écrire un polar hard-boiled dans lequel il faut taper fort et se montrer le plus cynique. Bien qu'il ait bénéficié de plus de pages que prévu initialement en ayant découplé et étoffé son intrigue sur 2 tomes, il se retrouve à donner les explications finales sous la forme d'un monologue de 2 pages du principal criminel, dans une séquence un peu artificielle, en ajoutant des ramifications qui expliquent parfaitement le déroulé des événements (y compris l'assassinat du pompiste), mais qui peuvent sembler superfétatoires.


Ce quatrième tome apporte toutes les réponses qu'attendait le lecteur pour clore l'intrigue commencée dans le tome précédent. Il retrouve avec grand plaisir Caroline Baldwin, toujours aussi débrouillarde et autonome, toujours aussi imparfaite et attachante. Il bénéficie d'un tourisme de qualité. Il ne s'offusque pas des menus artifices de la narration, totalement sous le charme de l'héroïne et des dessins.

Presence
9
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le 3 avr. 2019

Critique lue 104 fois

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