C'est beau mais c'est triste. Cela parle du plateau du Vercors, avec un arc chronologique qui balaie de 100 000 ans avant notre ère jusque dans les années 1930. Si le début est un peu déroutant par ses aller-retours chronologiques incessants, l'histoire finit par se focaliser sur Edouard, fils de la dernière guérisseuse et amie des ours du plateau du Vercors. Une prophétie dirait que lorsque la dernière reine, c'est-à-dire le dernier ours mourra, le monde sombrera dans le chaos. Les Grenoblois croient avoir tué le dernier ours en 1898, mais qu'y connaissent-ils ?
Le sujet central du livre est la prédation de l'espèce humaine sur son milieu, à l'image de ces bois de sapin qui ne sont pas des forêts car aucune autre espèce ne pousse dans ces espaces de monoculture. En face, on trouve Edouard, sorte de force de la nature qui connaît les espèces et vit dans son coin.
Gueule cassée de la Première guerre mondiale, Edouard rencontre une artiste de Montmartre qui refait gratuitement un visage à Edouard. Ils deviennent amants. Elle vient vivre sur le plateau, dans leur chaumière. Ils sont heureux, mais elle tombe malade et meurt. Edouard retourne à la forêt, songe à se tuer, tombe sur la dernière ourse, décide de l'aider à survivre. Mais une battue s'organise. Il parvient à la cacher, est rattrapé, subit une parodie de procès avant d'être exécuté, ce qui lui convient vu qu'il a perdu son amour.
Oui, l'histoire n'est pas gaie, même si elle ne finit pas dans un tragique complet, ce qui aurait été excessif. Il en reste une ode à la nature sans intervention de l'Homme, une critique de la décadence des villes et du capitalisme, et un beau travail sur l'art à travers une reconstitution du Montmartre des années folles (pour le passage à Paris).
Le découpage est efficace, et le graphisme, dominé par des applats de noir et souvent une seule nuance de couleur avec des dégradés très subtils, est d'une élégance rare. Simplement, c'est une BD dans laquelle il faut rentrer, car c'est la trame narrative qui donne son sens aux images. On trouve de fort belles planches d'extérieurs, j'espère que la région de Grenoble a subventionné cette bande dessinée.
Evidemment, il faut être touché par la thématique de la nature, mais de nos jours, en pleine période de déréglement, qui ne voit pas que c'est devenu le thème central qui devrait tous nous occuper ? En tout cas ce livre va dans ce sens, sans mièvrerie et sans bavardages excessifs.
La dernière reine est un récit beau et triste sur le rapport entre Homme et nature.