The Long Goodbye (1973) de Robert Altman figure parmi les bijoux méconnus du septième art. À la lecture de La Dernière Rose de l’été, je n’ai cessé de penser à ce film. L’auteur Lucas Harari semble bien le connaître, car le cousinage entre les deux œuvres est très important, trop à mon goût.

Je dois bien l’admettre, La Dernière Rose de l'été est une bande dessinée réussie. Le dessin coloré de Lucas Harari arrive à créer une ambiance captivante. Cependant, je ne compte pas en faire la critique. Je compte plutôt parler du problème de sa ressemblance frappante avec le film de Robert Altman.

Ce film est l’un de mes préférés. Et c’est en connaissance de cause qu’un ami (que je salue) m’a recommandé cette BD : “Lis ça c’est vachement inspiré de The Long Goodbye”. Résultat, j’ai adoré, justement parce que ça me rappelait un de mes films préférés. Les ressemblances ne concernent pas vraiment l'histoire, mais davantage les idées du film, les décors, les scènes elles-mêmes et les personnages. Chaque personnage du film est décalqué dans la BD. On y retrouve le personnage principal cool, célibataire et pauvre face à une société plus huppée, le vieil ami qui l’embarque dans l’histoire, la femme fatale (évidemment blonde), le vieux nabab alcoolique, le docteur véreux, le policier qui enquête et même le chat ! Je ne vais pas lister l’intégralité des points communs, ce serait bien trop long. On pourrait presque considérer ce livre comme une adaptation française en BD du film d’Altman (qui est lui-même une adaptation assez infidèle du livre éponyme de Raymond Chandler).

Exemple de scène identique: celle où le personnage principal, caché dehors, regarde par la fenêtre et voit son vieux voisin se faire escroquer par un médecin véreux. On y retrouve certains détails identiques au film, par exemple, le médecin gifle le vieil homme pour marquer sa domination. Tout est pareil. En plus, la plupart des personnages ressemblent physiquement aux acteurs du film. C’est la même scène avec une autre intrigue. Ça ne peut pas être une coïncidence. Mais peut-être est-ce un hommage?

Autre ressemblance, le protagoniste de la bande dessinée partage l’attitude cool et charmante de Philip Marlowe, le héros du film, et leur enquête les mène à travers un labyrinthe de péripéties et trahisons “à la Chandler”. L'ambiance de la bande dessinée, avec ses décors colorés et atmosphériques, reflète l'esthétique néo-noir du film. Même des scènes spécifiques, telles que certaines confrontations et les moments solitaires du protagoniste, sont remarquablement similaires. Oui, mais c’est un hommage me direz-vous. Désolé mais là, ce n’est plus un hommage que je vois, c’est des dizaines d'hommages. À ce moment-là, hommage n’est plus le bon terme à utiliser, pillage peut-être? En tout cas, pour qu’il y ait hommage, il faut le reconnaître n’est-ce pas? Un hommage, par définition, n’est pas caché. Un clin d'œil peut être, mais pas un lien aussi important avec une autre œuvre.

Et c’est justement là le problème. J’ai eu beau fouiller, l'auteur de La Dernière Rose de l'été ne reconnaît nulle part l'influence du film d'Altman. Cette omission soulève des questions quant à l'originalité de son œuvre. Le manque flagrant de reconnaissance de son inspiration ne peut être ignoré. Je cite Lucas Harari dans une interview pour la chaîne ActuaBD : “La Dernière Rose de l’été, c’est en réalité un livre hommage, à mes lectures, au cinéma des années 60, 70, que j’adore (...) La Dernière Rose de l’été c’est ça, c’est un livre où je joue avec un certain nombre de références, toutes celles qui m’ont donné envie de raconter. Et donc il y a des clins d’œil à la littérature, Jack London notamment. Il y a des clins d'œil au cinéma d’Eric Rohmer, d’Hitchcock. Il y a de l’architecture bien sûr. Voilà, c’est tout un réseau de références qui m’ont porté à écrire. Donc c’est un livre clin d'œil, un livre référence.”

C’est cette interview qui m’a retourné contre l’auteur. Au départ transporté par cette lecture agréable bien que trop familière, j’étais resté sur un sentiment positif. Mais après être tombé sur cette interview, j’étais outré qu’il ne mentionne même pas le film d’Altman. Il y a peut-être l’un ou l’autre “clin d’oeil” à Hitchcock, le héros observe ses voisins comme dans fenêtre sur cour ; à Jack London ensuite, puisque le héros lit Martin Eden (je ne parlerai pas de Rohmer, puisque j’y connais rien mais ça a en effet l’air d’en être inspiré). Aucun problème avec ça, ce ne sont que des références, des clins d’oeils.

En revanche, ce que j’ai surtout vu à la lecture, c’est le pillage d’un seul film, et non des références multiples. Selon moi, l’auteur a essayé de noyer le poisson en citant d'autres références bien moins importantes. Il a peut-être été jusqu’à faire le choix de piller un film méconnu du grand public dans lequel il a sciemment changé l'histoire pour éviter les problèmes. Son interview me semble illustrer une démarche calculée de sa part, il pille un film de Robert Altman puis se justifie en disant : “oui bien sûr il y des références au cinéma, Hitchcock par exemple”, histoire que personne ne voit le copié collé pur et simple de certaines scènes.

La Dernière Rose de l'été ne se trouve donc pas être de l’honnête travail. Son emprunt considérable à "The Long Goodbye" sans citation appropriée, franchit une limite. Bien qu'il soit courant pour les artistes de s'inspirer de diverses sources, il est crucial de créditer ces influences de manière appropriée. À ce jour, personne n’a mentionné sur internet le lien évident entre ces deux œuvres, ce qui m’a obligé à le faire.

ArchStanton6600
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le 22 juin 2024

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