Après « L’Aimant », c’est avec une impatience non feinte que l’on attendait la nouvelle œuvre de Lucas Harari. L’auteur quitte ainsi l’atmosphère montagnarde hivernale des Alpes suisses pour épouser la douceur méditerranéenne, dans un cadre solaire idyllique. « La Dernière Rose de l’été » peut se résumer comme un thriller hitchcockien à l’ambiance contemplative, évoquant le cinéma de la « Nouvelle vague », avec un zeste de farniente, de liaisons dangereuses et d’amours esquissées.
Traité en apparence comme un thriller classique avec une enquête policière à la clé, « La Dernière Rose de l’été » comporte une dimension supplémentaire. Car comme avec le précédent opus de Luca Hariri, tout va se jouer au-delà des apparences malgré une apparente fluidité narrative, avec l’intrusion diffuse du mystère. Derrière le décor luxueux d’une villa d’architecte en bord de mer, la tension psychologique va s’accentuer pour laisser place à un cauchemar éveillé jalonné de visions perturbantes et d’images subliminales, desquelles l’auteur ne livrera guère de clés. Les personnages évoluent dans un théâtre d’ombres chinoises où l’on n’est jamais sûr de rien, où l’on ne sait jamais exactement qui manipule qui. Cela pourra dérouter le lecteur avide de réponses toutes faites, que les références à « Martin Eden » de Jack London ou aux traditions chamaniques via les statues hopis du père de Rose ne viendront pas tranquilliser.
Contrastant avec la tragédie annoncée du récit, l’élégante ligne claire de Lucas Harari, un rien rétro, est sublimée par le choix des couleurs vives, bien adaptées à cet environnement balnéaire qui immerge littéralement le lecteur, tout comme les superbes scènes nocturnes aux mille nuances bleutées. Comme dans « L’Aimant », l’architecture tient une place importante, en particulier par l’entremise de la magnifique villa de Georges Plyret perchée sur une falaise. Et tout cela contribue à créer une atmosphère unique nimbée d’une plaisante aura littéraire où le glamour convole avec le mystère. La Beat Generation n’est pas loin… Graphiquement, on peut évidemment penser à Hergé (Leo étant une sorte de Tintin écrivain par sa jeunesse célibataire et candide, comme l’était Pierre dans « L’Aimant »), mais « La Dernière Rose de l’été », c’est aussi un peu la rencontre entre Charles Burns et Jacques de Loustal, dans une zone où l’étrangeté du premier dialoguerait avec la mélancolie radieuse de l’autre.
L’éditeur Sarbacane, qui a su faire preuve de flair avec cet auteur talentueux, nous sert l’histoire dans un superbe écrin : impression en grand format sur papier de qualité, le tout habillé d’une jolie couverture toilée, de couleur rose comme il se doit. « La Dernière Rose de l’été » se voit ainsi hissée au statut de « Beau livre », véritable plaisir de collectionneur, dont les pages sont comme autant de pétales se déployant au fil du récit pour exhaler des arômes envoûtants et intemporels, à condition d’en accepter les épines… En somme, le livre parfait à déguster avant d’aborder les premiers frimas de l’automne.