Je ne sais plus exactement quel est le premier album de Lucky Luke que j'ai lu, ça doit probablement être un des albums souples brochés de la collection Dupuis, car ils étaient tous chez mes grands parents quand j'étais gosse, je passais des heures à les lire et les relire pendant mes vacances. Mais celui-ci marque un pas important parce que la série changeait d'éditeur et passait chez Dargaud en albums cartonnés, et comme j'étais lecteur du journal Pilote (première formule, celle adolescente encore loin de la formule adulte que ce journal aura plus tard), j'ai découvert cet épisode dans Pilote.
Donc voila, premier album édité chez Dargaud en 1968 après le départ de Morris de chez Dupuis, la Diligence frappe fort d'emblée, je le considère comme un des meilleurs de la série. Goscinny en fait un pastiche et un hommage à un western hollywoodien fameux : la Chevauchée fantastique (Stagecoach), de John Ford en 1939 où John Wayne y faisait une prestation mémorable.
Comme dans le film, Goscinny rassemble un microcosme de personnages de l'Ouest, on y trouve Scat Thumbs, le tricheur pro que Morris dessine sous les traits de l'acteur John Carradine qui tenait un rôle identique dans le film de Ford ; il sauve la vie de Luke menacé par le traître Sinclair en faisant surgir un minuscule revolver de sa manche. On trouve aussi un photographe en quête de sensation, qui sera lui aussi très utile dans la séquence des Indiens, un vieux prospecteur qui ne cesse de perdre son argent en pariant avec Scat, un révérend qui cache bien son jeu, et un couple dont la femme écrase son mari ; celui-ci prendra ensuite sa revanche. Et puis il y a Hank Bully, le cocher, caricature de l'acteur Wallace Beery, grand acteur des années 40 spécialisé dans les rôles à physique ingrat ; c'est un personnage jovial, truculent et bon vivant, le meilleur "fouet" de la compagnie, et il le prouve en dégommant les cigares avec son fouet et avec un très bon gag en page 6, tout en étant un ami de Lucky Luke.
Comme dans le film, Goscinny parsème le parcours de la diligence de multiples incidents et embûches mais avec son humour habituel en petites touches (comme le coup des "patates et du lard" à chaque relais), pour finir en évoquant une figure réelle de l'Ouest, le légendaire Black Bart (illustré par de vieilles photos en fin d'album). Le parcours de la diligence de Morris et Goscinny est inspiré par le parcours réel qui reliait Denver dans le Colorado à San Francisco en Californie, autant dire que ça faisait un sacré périple, et les attaques relatées sont inspirées de faits réels.
Voici donc un excellent épisode en forme de road movie qui permet en plus de mettre en valeur la Wells Fargo, la plus célèbre compagnie de transports à travers le Far West, et qui sera sans doute encore mieux apprécié par ceux qui ont vu le film de John Ford, pour le comparatif dans les clins d'oeil, les personnages, ou les péripéties...