Paru en 1967 dans Spirou puis en album chez Dargaud, "La diligence" constitue à mes yeux un must dans le genre de l'exercice de style. Les deux auteurs connaissant parfaitement les codes du récit western de diligence, (ils revendiquent quasi ouvertement avoir repris le canevas du film "la diligence vers l'ouest" et se sont fortement inspiré du "Stagecoach" de John Ford) Morris et Goscinny décident de s'y attaquer. Remarquons d'abord que cette album tranche avec ceux qui l'encadre. La relecture (plus ou moins parodique) via les aventures de Lucky Luke des westerns de genre datant plutôt d'une plutôt d'une période précédente.

- 1955 : Des rails sur la prairie (construction du chemin de fer)

- 1958 : Ruée sur l'Oklahoma (ouverture à la colonisation)

- 1962-63 : La caravane (traversée de l'ouest en chariot)

- 1964 : Le 20° de cavalerie (Tuniques bleues)

Les recits à partir de "L'escorte" et plus encore avec "Tortillas pour les Dalton" s'orientent progressivement dans un registre de la surparodie où le comique de l'histoire ne se construit plus par rapport à des western filmé mais par rapport à l'univers même de la série. "Canyon Apache" constitue un pic dans ce mouvement en apparaissant comme la parodie n'ont plus d'un western filmé américain mais comme celle de l'album "le 20° de cavalerie".

Le temps de cet histoire Morris et Goscinny ont suspendu ce mouvement.

-Ils s'interdisent le recours à des personnages récurent type Dalton, Rantanplan, Billy the kid...

-Lucky Luke dans son statut de héros adopte une position basse, il est certes reconnu pour ses qualités puisque la Wells Fargo le recrute mais cette réputation n'écrase pas l'enjeu du récit, il n'apparait pas comme invincible. Les bandits n'hésite pas à attaquer la diligence, plusieurs fois il se trouve surpris et en difficultés, et il doit recourir à la ruse (changement d'itinéraire, recourt à la photographie face aux indiens) il n'est fait aucunes allusions à ses exploits passés. Il se concerte avec le conducteur de la diligence avec lequel il partage la responsabilité du voyage. Les personnages avec lesquels il interfère ne lui accorde pas de statut particuliers, il apparait comme un convoyeur particulièrement compétant mais pas plus, (si les bandits du début le connaissent, les responsables des relais connaissent plus Hank le conducteurs et certains passagers (cf l'arrangement entre Scat et le patron du relais page 20).

Jolly Jumper redevient un cheval presque ordinaire si l'on peut s'étonner qu'il effectue tout le trajet sans broncher alors que les chevaux de la diligence sont remplacé à chaque étape, il n'effectue pas d'exploit qui l'exclut de la catégories des chevaux.

- Il ne galope pas toute une nuit en dormant (Canyon Apache, Le fil qui chante)

- Il ne joue pas aux échecs (Jesse James)

- Il ne pêche pas à la ligne (Ma Dalton)

- Il ne s'équipe pas lui même (P 32 Lucky Luke lui met sa selle)

- Son don de la parole est limité à des apartés, moins nombreuse que dans d'autres épisodes.

- Par deux fois il se montre défaillant dans sa relation avec Lucky Luke (P 34 Ayant les oreilles bouché, il ne peut répondre au coup de sifflet de son maitre, P 42 Inquiet, il refuse d'avancer vers le bandit Black Bart au point que Lucky Luke doit continuer à pied).

Du coup il est possible d'imaginer le remplacement de Lucky Luke et sa monture par un autre personnage sans que le récit soit détruit.

Cet effacement du héros qui s'intègre au petit groupe des voyageurs permet l'émergence de toute une série d'individus pittoresque dont ont suit les péripéties au rythme cahotant de la diligence.

Si on se doute sans peine que le convoyage de l'or sera une réussite, on sera par contre beaucoup plus curieux d'anticiper l’évolution des relations entre le joueur de carte Scat et le chercheur d'or et entre le petit comptable Oliver Flimsy et sa femme Annabelle.

Car la réussite est là, en se coulant un cadre narratif très conventionnel les auteurs Morris et Goscinny parviennent à le transcender complètement en fournissant un récit à la fois drôle et captivant.

Rendons à cette occasion hommage au talent de Morris qui s'affirme comme un virtuose de la mise en image en jouant sur les lumières, sur les cadrages en étirant la silhouette des chevaux pour donner une impression de vitesse. Pas d'erreurs les déplacements de la diligence s'effectuent toujours de la gauche vers la droite renforçant l'idée de voyage. Quand vers la fin tous les codes du récit sont en place, il recours à des multiplications de cases sur une même ligne (P.40) en donnant au récit une dimension elliptique. (Procédé que Bourgeon reprendra dans l'épisode "Le bois d'ébène" des Passagers du vent).

Personnellement j'aime beaucoup l'image de la diligence arrivant au relais page 13. La pluie la pénombre, indique l'effort, les silhouettes noires effacent les individualité ont nous fait exister la peine et la fatigue des chevaux dans la boue avec en perspective le réconfort de l'étape symbolisé par la fumée du relais.

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le 30 janv. 2023

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