Ce tome contient les épisodes 1 à 6 (initialement parus en 2013/2014), d'une nouvelle série indépendante de toute autre. Le scénario est de Chris Dingess, les dessins et l'encrage de Matthew Roberts, et la mise en couleurs d'Owen Gieni.


Le récit commence le 23 mai 1804 alors que le second lieutenant William Clark renseigne le journal de bord du navire. Il s'agit d'un équipage militaire missionné par le président Jefferson pour explorer l'intérieur des terres du continent nord américain, dans le cadre de l'expansion de la nation (l'idéologie qualifiée par la suite de Manifest destiny). L'équipage est composé de soldats de l'armée régulière, ainsi que de repris de justice peu recommandables à qui on a promis la liberté ou des remises de peine. Seuls le capitaine Meriwether Lewis et son second lieutenant savent que le président craint que des créatures surnaturelles et malveillantes n'errent dans ces contrées inexplorées. Alors que le camp fortifié de La Charrette n'est plus très loin, les navires font une halte. Une partie de l'équipage débarque ayant aperçu une arche végétale monumentale, ils furètent et affrontent une créature mi cheval, mi bison.


Fin 2013, début 2014, Image Comics publie énormément de nouvelles séries, dont certaines réalisées par de grands noms des comics (Ed Brubaker, Matt Fraction, Greg Rucka). Au milieu de toutes ces nouveautés, il n'est pas certain que le lecteur ait la curiosité de jeter un coup d'œil aux séries dépourvues de têtes d'affiche. Pourtant en feuilletant Flora & Fauna, il découvre des dessins de bonne qualité avec des éléments surnaturels originaux et une attention portée aux détails qui fait exister cette reconstitution d'époque.


Matthew Roberts réalise des dessins réalistes, avec un réel souci de rendre compte des uniformes, des tenues vestimentaires, de l'état des techniques de construction, de l'environnement naturel, etc. Le lecteur apprécie en particulier de voir ces clairières, ces forêts insondables, ces formations rocheuses. Roberts donne pas un cours de botanique, mais il sait mettre en valeur la verdure, un rayon de soleil à travers le feuillage, ou encore la forme particulière d'une fleur. Le lecteur ne reconnaît pas chaque essence d'arbre ou chaque plante composant un fourré, mais il éprouve la sensation d'évoluer dans ces sites naturels.


Cette approche graphique (réaliste sans être photographique) se retrouve également dans les animaux (le magnifique héron de la page d'ouverture), les costumes, et les constructions. Ainsi le lecteur éprouve le plaisir de se sentir immergé dans cette époque et à cet endroit. Roberts représente les éléments surnaturels avec la même approche, profitant pleinement du fait qu'en bandes dessinées le budget est illimité. Dans la mesure où Roberts utilise le même style graphique, ces éléments sont naturellement intégrés au reste de la narration visuelle. L'ache végétale est montrée comme un état de fait normal, mais dans une case avec un point de vue à partir du ciel, montrant ainsi son gigantisme par rapport aux minuscules embarcations, tout en bas sur le fleuve. L'espèce de centaure apparaît la première en contre jour, sa silhouette se détachant contre le soleil, dans une planche pleine page très impressionnante, une menace réelle et très proche, aux contours très nets, mais à l'apparence indiscernable.


À plusieurs reprises, le lecteur apprécie pleinement l'intelligence de la mise en page qui trouve le juste point d'équilibre dans une description factuelle rehaussée par un élément sensationnel ou horrifique. Roberts dispose d'une sensibilité qui fait qu'il peut représenter des éléments horrifiques, sans en faire le seul intérêt d'une image.


Grâce aux qualités d'artiste de Matthew Roberts, le lecteur entre facilement dans le récit dont le principe est assez efficace. Lors du déploiement des colons vers l'Ouest du continent, les explorateurs ont découvert des créatures inconnues. L'intelligence de Dingess est d'avoir fait en sorte que si elles sont bien inconnues, elles ne sont pas totalement inattendues par l'équipage qui dispose de quelques ressources pour les combattre. En intégrant des créatures chimériques dans un terrain à découvrir, Dingess place le lecteur dans la même situation que les soldats, les uns comme les autres ne sachant pas à quoi s'attendre.


De page en page, le niveau de divertissement ne faiblit pas grâce à l'apparition de personnages bien campés (avec des noms savoureux comme Magdalene Boniface, ou Sacagawea, ou encore Toussaint Charbonneau), des créatures avec assez d'originalité pour être remarquables tout en s'intégrant harmonieusement avec la faune et la flore de la région. Dingess sait doser sa narration pour que chaque endroit soit singulier, pour que quelques personnages disposent de la place nécessaire pour exister au-delà des stéréotypes, et pour que leurs comportements soient motivés (par exemple monsieur Jensen cherchant comment fausser compagnie aux soldats réguliers pour recouvrer sa liberté). Dingess introduit également quelques informations qui montrent que cette opération n'est pas menée par des enfants de chœur, qu'il s'agisse des châtiments corporels infligés à ceux qui ne respectent pas la discipline, ou du fait que tous les soldats constituant la troupe ont été choisis parce qu'ils n'ont plus de famille.


Attiré de prime abord par des dessins descriptifs bien pensés, le lecteur bénéficie d'une narration visuelle de qualité, détaillée avec une savante mise en scène. Il découvre également un récit d'aventures original avec un peu de mythologie, un peu d'horreur, 2 ou 3 personnages sympathiques sans être fades. C'est avec plaisir qu'il s'aventurera plus avant dans le continent, avec le capitaine Meriwether et le lieutenant Clark, pour l'explorer.

Presence
9
Écrit par

Créée

le 25 janv. 2020

Critique lue 58 fois

Presence

Écrit par

Critique lue 58 fois

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime