Avec ce récit en noir et blanc l’auteur nous plonge dans la vie tourmentée de la petite Constance, 10 ans. C’est elle qui prend en charge le récit.
Constance vit chez ses grands-parents dans une belle demeure d’un village de la Brie à la fin des années 70. Elle est enfermée dans cette prison presque dorée : son seul terrain de jeu, le jardin, avec interdiction absolue d’en franchir les limites. Son grand-père ? Un homme faible et alcoolique. Sa grand-mère ? Une vieille dame irascible qui oblige la petite, entre deux coups de fouet, à dormir au grenier. Son horizon va s’ouvrir quand ses grands-parents embauchent comme gardiens José et Alma da Costa. C’est à cette occasion que Constance va enfin pouvoir côtoyer des enfants de son âge.
Matthias Lehmann raconte l’histoire bouleversante de cette enfant et de ce secret qui se dévoile au fur et à mesure du récit. Le découpage narratif rajoute à la dramaturgie de l’histoire : aux pleines pages succèdent des strips, des gaufriers mais également des dessins qui s’épanouissent sur les planches comme pour montrer le besoin vital d’évasion de Constance, elle qui ne sort même pas pour aller à l’école, sa grand-mère s’occupant elle-même de son éducation.
Dès la neuvième planche, on comprend que quelque chose ne tourne vraiment pas rond dans cette famille quand Constance rêve d’assassiner ses grands-parents pour être enfin tranquille. Le trait de Matthias Lehmann fait penser à du Will Eisner : le dessin est hachuré, nerveux, tendant par moment vers du réalisme dans les décors ou se distordant à souhait jusqu’à la caricature des visages pour mieux mettre en avant le chaos qui peut régner dans la tête de l’enfant meurtrie. Ames sensibles s’abstenir ! Le propos peut être violent mais on se prend parfois à sourire et même à avoir des pointes de compassion pour les grands-parents.
Avec la Favorite, Matthias Lehmann signe un récit riche en émotions. Pourtant pas de pathos ici : on suit juste une enfant différente qui essaye de grandir et de se confronter aux autres toujours là pour lui renvoyer en pleine figure sa singularité. Avec près de 150 pages ce roman graphique pourrait être inspiré d’un fait divers mais ce n’est pas le propos. L’auteur s’est questionné sur le déterminisme social d’une époque.