Ce tome fait suite à 1er août 1916 - 17 octobre 1916. Il contient les 24 épisodes de 4 pages chacun parus au début des années 1980. Cette édition comprend également 2 pages retraçant la carrière de Joe Colquhoun, 4 pages sur l'utilisation des zeppelins pour les bombardements de Londres, et une postface de 5 pages d'anecdotes de Pat Mills sur ces épisodes. Tous les scénarios sont de Pat Mills et les illustrations (en noir & blanc) de Joe Colquhoun.


Le tome précédent se terminait en plein milieu de l'Opération Wotan, un offensive brutale des allemands pour réussir à conquérir quelques tranchées de plus dans la bataille de la Somme. Suite à une blessure, Charley Bourne a le douteux plaisir de revoir le docteur "non". De retour dans les tranchées, il subit une offensive au gaz, avec la Croix Bleue et la Croix Verte. Victime d'une blessure plus importante que la précédente, il finit par être rapatrié chez lui à Londres, où il rentre chez ses parents. Sa mère participe à l'effort de guerre en travaillant dans une usine de munitions. C'est également l'époque où Londres est régulièrement bombardée par les zeppelins.


Dans une précédente introduction, Pat Mills expliquait que l'une des difficultés était de pouvoir renouveler les histoires, alors même que la majeure partie de l'action se situe dans les tranchées à effectuer des attaques et des replis. Pendant une moitié du tome, le lecteur assiste donc aux combats opposants les anglais aux allemands. En termes de personnification de l'ennemi, Mills utilise le raccourci qui consiste à le décrire comme fondamentalement mauvais et assoiffé de sang, alors que les anglais ne font que défendre leur bon droit. Il s'agit d'une des limites liées à la bande dessinée de l'époque que Mills n'arrive pas à dépasser dans le cadre de l'opération Wotan. Par contre, une fois l'opération terminée, le colonel Zeiss se retrouve en but à la même ségrégation de classe sociale en Allemagne que Bourne dans les tranchées. Cela le rend un peut moins monolithique. Coté anglais, là aussi la narration traditionnelle des récits de guerre reprend un peu le dessus, pour des actions plus héroïques et parfois guère probables. Fort heureusement, Mills continue d'effectuer ses recherches avec sérieux et insère dans sa narration des anecdotes incroyables telles celle relative au transport de mitrailleuse sur le champ de bataille. Il continue également à mettre en évidence que les armes sont des outils dont la technique est soumise à des limites. En particulier il y a la séquence consacrée au refroidissement de la mitrailleuse utilisée par les anglais. Pour les amateurs des récits de guerre de Garth Ennis, il est facile de reconnaître l'un des thèmes de cet auteur (le caractère faillible de l'armement alors qu'il y va de la vie du soldat).


Heureusement, Pat Mills dispose d'autres atouts scénaristiques dans sa manche qui font oublier ces scènes de combats qui n'arrivent pas toujours à s'émanciper de la glorification des soldats se battant pour la patrie en tuant vaillamment l'ennemi, soit des individus semblables à eux (mis à part pour l'uniforme et la langue). Le retour du docteur est toujours aussi atterrant. L'apparition de la police de guerre revient sur la thématique de la discipline et des déserteurs en mettant en évidence une organisation efficace où les individus obéissant aux ordres accomplissent des actions dont la moralité devient difficile à déterminer (contraindre par la menace les soldats à retourner dans les tranchées). Le passage des champs de bataille vers la vie civile à Londres se fait en douceur. Mills a encore une fois bien effectué ses recherches et le lecteur découvre l'accueil réservé aux vétérans, l'engagement des ouvrières dans la production d'arme et leur condition de travail (à commencer par les mesures d'hygiène et de sécurité, et leur peau prenant une teinte jaunâtre ce qui leur valait le surnom de canari), l'implantation des usines dans les quartiers populaires de la ville, les secteurs ravagés par les bombes (le quartier de Silvertown). S'il continue de caricaturer grossièrement les classes supérieures de la société (à commencer par le propriétaire de la manufacture d'armes), il n'épargne pas non plus les petits profiteurs (avec le retour d'Oliver/Oiley, le beau-frère de Charley, beaucoup plus crédible que dans le tome précédent). Mills continue également à faire oeuvre pédagogique en mettant en scènes des incursions de zeppelins germaniques au dessus du sol britannique. Les 4 pages d'introduction permettent au lecteur d'apprécier le niveau d'exactitude du scénario de Mills, et de mieux cerner les enjeux relatifs à ces attaques. Et puis, au détour d'une scène, Mills achève le lecteur en mettant en évidence l'éternel retour de la bêtise humaine (en particulier avec le vétéran de la guerre de Crimée). L'humanité semble condamnée à répéter les mêmes atrocités, dépourvue de capacité d'apprentissage, incapable de tirer les leçons du passé.


Dans les notes de fin de volume, Pat Mills indique qu'il lui est impossible d'envisager la vie de Charley Bourne autrement qu'illustrée par Joe Colquhoun. Au fil des épisodes, le lecteur apprend à apprécier le niveau de détails de ce dessinateur, son style rugueux adapté aux réalités horribles qu'il dépeint, ses compositions factuelles, évitant autant que faire se peut de reprendre les stéréotypes glorifiant la virilité des soldats, leur bravoure, leur toute puissance. Comme dans le scénario de Mills, le lecteur tombe de temps en temps sur une case trop proche des récits de guerre à la sauce romantique, mais il s'agit d'une occurrence fort rare. La majeure partie du temps, les dessins de Colquhoun sont sans pitié, sans fioriture, dépourvus de glorification de la violence. En plus de l'exactitude historique des uniformes et des armes, Colquhoun a l'art et la manière de faire ressortir l'horreur des situations, l'aspect primitif des combats à l'arme à feu, ou à mains nues. La scène où les tommies se retrouvent dans un abri souterrain obligés de sortir sous le feu de l'ennemi devient difficile à soutenir dans ce qu'elle a de pragmatique, avec uniquement la certitude d'une froide exécution sans gloire ni panache. La vue du ciel de l'hôpital militaire de campagne montrant les blessés croisant les nouveaux arrivant fait ressortir toute l'implacable ironie de ces mouvements en sens contraire, sans besoin de texte pour expliquer ce que l'image montre avec évidence. Colquhoun sait faire revivre de manière aussi plausible, aussi bien les rues de Londres en ce début de siècle, que l'envergure impressionnante des zeppelins. L'intérieur de la manufacture de bombes permet de constater la rigueur de Colquhoun pour dessiner avec exactitude cet environnement industriel fruste.


Ce troisième tome présente quelques imperfections telles qu'un ennemi trop méchant, ou des scènes de combats qui se rapprochent d'une vision idéalisée du soldat. Mais Mills et Colquhoun font preuve d'une inventivité et d'une rigueur qui contrebalancent ces moments moins réussi avec une évocation édifiante des réalités en temps de guerre : les limites technologiques des armements et leurs conséquences pour les soldats, l'incidence des classes sociales sur l'organisation militaire, l'adaptation de l'économie capitaliste aux temps de guerre, le décalage entre les soldats et la population civile, etc. En toute honnêteté, les maladresses de la première partie me conduiraient à n'attribuer que 4 étoiles à ce tome un peu en dessous des 2 premiers. En toute subjectivité affective, l'intelligence des points de vue de Pat Mills et Joe Colquhoun me conduisent à faire abstraction de ces passages moins réussis pour ne retenir que la richesse des thématiques, l'honnêteté de leur représentation de cette époque, l'humanité de leurs personnages. Il convient de souligner que l'édition française reproduit comprend les quelques pages couleurs originales (quelques couvertures et une poignées de premières pages), alors que l'édition anglaise a reprographié ces pages en noir & blanc.

Presence
9
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le 16 juil. 2019

Critique lue 110 fois

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