On se demande comment un dessinateur aussi talentueux que Philippe Adamov a pu accepter d'illustrer ce dérapage scénaristique de Cothias. Peut-être surmené par le nombre de séries qu'il menait de front, à l'époque, Patrick Cothias fait ici tout ce qu'il peut pour désamorcer l'intérêt du lecteur et donner le sentiment d'une incohérence soutenue. La série aurait dû s'arrêter à la fin du Tome 5 : tout le monde est mort, c'est bon, on a compris. Mais Cothias a jugé bon (des traites à payer, sans doute) de doubler de longueur la série en la répétant de manière parfaitement inutile : c'est reparti pour la lutte entre Nicolas, le Prince de Mortelune, et l'horrible Duc Malik.

Sauf que tout enjeu rationnel a disparu, et on nage - que dis-je, on se noie ! - dans une haute fantaisie qui se dispense de toute règle. Comment voulez-vous trembler pour les "gentils" quand on les voit mourir et ressusciter à volonté, sur un air de violon de Nicolas-aux-yeux-rouges ? Pareil pour les "méchants", d'ailleurs. Et les enjeux de la lutte, qui étaient crédibles dans les cinq premiers volumes, ont disparu : autant on pouvait comprendre les haines du Duc Malik lorsqu'il s'agissait de bénéficier de la jeunesse éternelle (un enjeu qui, même dans le réel d'aujourd'hui, motiverait pas mal de monde...), autant il n'y a plus d'enjeu du tout dans ce délire protéiforme. Malik est transformé en Dieu du Mal - et Cothias va s'amuser à lui faire revêtir toutes les apparences des Dieux du Mal récupérés dans diverses cultures - et son job, en tant que Dieu du Mal, c'est de combattre et d'anéantir le Bien, représenté par Nicolas. Ce n'est plus de l'aventure, c'est de la théologie de pissotière. Malik, fonctionnaire scrupuleux et maniaque de l'abomination, écrabouille, zigouille et démantibule tout ce qui passe à sa portée, sans que le moindre fondement de cette haine ne transparaisse. Par exemple, cet équipage du vaisseau spatial, qu'a-t-il donc bien pu faire pour mériter la haine de Malik ? Il faut voir Malik transformé en monstre cracheur de feu (planche 32).

Malik a d'autant moins de raisons de jalouser Nicolas qu'il acquiert lui-même le statut de Dieu créateur - et ressuscitateur (planches 13 et 14), mais à qui il échappe tout de même certains détails (planche 17). Ce qui ne l'empêche pas de formuler clairement sa volonté sadique, tout en en avouant, pour la première fois, une certaine crainte qui contredit son jusqu'au-boutisme fanatique accoutumé (planche 19). Ce jusqu'au-boutisme se manifeste pourtant tout de suite après, dans ce crash-suicide volontaire (planches 22 à 25). On s'en fout, on ramasse les viscères éparpillés, et on refait le monde tout de suite !

Pire encore, Cothias est tellement saisi par sa logique (?) de répétition des volumes précédents, que les planches 7 à 10 répètent une séquence déjà vue dans le tome 6, sans autre utilité scénaristique que de susciter un sentiment de "déjà vu" chez les membres de l'équipage (planche 9).

Quant à la situation, elle ne brille pas par sa cohérence : comme tout est rêvé par le Dieu-créateur Nicolas, tout peut se transformer en tout à chaque instant. Il se confirme que Nicolas et ses copains sont sur Pluton (planche 5 - il n'a pas l'air d'y faire spécialement froid ni sombre, mais on est dans un délire, hein ?), et l'explication donnée pour ce choix de villégiature est farfelue ("La terre lui évoquait trop de mauvais souvenirs, sans doute. Trop de froideur" (planche 5)). Même pas sûr du motif, Barnabé ! Cothias s'en fout visiblement. Quant à aller sur Pluton parce que la Terre est froide, c'est sûr que Barnabé n'a pas pris la température de la planète... Même Barnabé ne sait pas exactement pourquoi la Terre est congelée (planches 28 et 33).

Dans la théologie Cothiasienne, du niveau de "Brèves de Comptoir", la drôlerie en moins, on s'y perd dans la toute-puissance - ou pas - de Nicolas (planche 46), sa conscience - ou pas - de réalités indépendantes de ses rêves (planche 5 - contredite tout de suite par la planche 6 - planche 36), l'autonomie - ou pas - de Malik vis-à-vis de Nicolas, qui l'a ressuscité, lui aussi (il est un peu maso, Nicolas...) (planches 11 et 33), l'intelligence - ou pas - de Nicolas, parfois présenté comme un Gaston Lagaffe de la re-création, parce que sa re-création est bancale (planches 3, 4, 28-29). Les manies sous-théologiques de Cothias se répètent : toujours "666" cité ici (planche 6 - très drôle !), sans que cela ait la moindre utilité pour le scénario. Malik qui, pour la troisième fois, nous sert "il m'arrive parfois de me craindre moi-même" (planche 10); ça tourne en rond. Et même le marrant Alfred introduit, de manière incongrue, une référence à la religion, aussi idiote que la réponse des membres de l'équipage (planches 34 et 35). Son délire mystique des planches 39 et 40 tourne au n'importe quoi. Quant à Nicolas, son statut de Dieu a l'air peu stable (planche 46).

Adamov fait son boulot et propose de belles images : ce vaisseau à pyramide tronquée ceinturé de très hauts murs vertigineux, l'ensemble recouvert de végétation (sur Pluton, la végétation, vaut mieux préciser...) (planche 2); les vues sous-marines... sur Pluton (spectacle rare ! planche 28); les tempêtes suscitées par Nicolas (planche 36).

Vers la fin, belles représentation de la raie manta, et d'un Paris-Mortelune recréé avec fantaisie (planches 39 à 46) : les statues de Notre-Dame-de-Paris tournées en dérision.


Finalement, j'ai pas besoin d'essayer le LSD pour en avoir les effets. Il suffit de lire Cothias.
khorsabad
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le 29 oct. 2014

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