C'est vraiment le hasard qui m'a fait lire La Guerre éternelle ; et je ne regrette pas le voyage (c'est bien le mot !). Peut-être est-ce dû au fait que ce soit adapté d'un roman, mais la structure du récit est excellente et on ne perd jamais son temps en vaines paroles ou en actes inutiles. C'est d'une densité assez impressionnante, malgré un relâchement dans la troisième partie, et là où d'autres ne manqueraient pas de faire des digressions d'ordre sentimental avec scènes de Q ad-hoc (comme par exemple Léo dans ses divers MONDES D'ALDEBARAN), les auteurs ont su rester pudiques et suggestifs. J'en veux pour preuve la scène du premier baiser (pour le lecteur) entre Mandella & Marygay dont on ne voit que les pieds : une leçon de finesse et de subtilité adressée à tous les exhibitionnistes qui se croient obligés de mettre une nana à poil ou/et une scène de baise dans chaque album (surtout dans les années 1980) pour justifier leur statut d'auteur de BD sérieuse et adulte. Ici, on laisse les personnages vivre leur intimité. Ils sont respectés.
Alors certes, cette histoire est sombre, et même plus encore. C'est désespérant. Mais cette guerre commencée trop rapidement et sans trop réfléchir trouve encore aujourd'hui un écho malheureusement bien prononcé dans notre réalité depuis un certain attentat de septembre, ce qui augmente l'intérêt de la lecture (on notera également une référence à l'offensive du Têt en janvier 1968 - qu'a dû vivre Haldeman).
D'un point de vue graphique, il est curieux de constater qu'on oscille entre différents styles. On pense aussi bien à Gillon (LES NAUFRAGES DU TEMPS) pour les personnages - d'ailleurs très approximatifs - qu'à Mézières (VALERIAN) ou à Mœbius (L'INCAL) pour les costumes et les décors. Créée à la fin des années 1980, la série évoque cependant plus les années 1970 dans les choix esthétiques (notamment par l'emploi des ombres chinoises et de la mise en couleur).
Le dernier tome est moins passionnant (c'est même assez confus par moments), mais la fin porte l'accent sur l'aberration de ce conflit inepte et l'épilogue fait la part belle à l'espoir et au renouveau.
Au final, La Guerre éternelle n'est pas exempt de défauts, mais c'est un grand récit SF intelligent, sans doute un peu austère et trop sérieux car sans esbroufe ni fioritures, mais véritablement passionnant.