Le style Ero Guro, par ce qu’il avait de foncièrement répugnant dans ce que suppose même son principe, à savoir une débauche de gore et d’érotisme parfois bien prononcé, m’avait tenu à l’écart avant même que je n’en esquisse ses infâmes trésors. Comme dans tout art ou discipline, on y trouve le gros des troupes ; vulgaire et quelconque, mais aussi les maîtres du genre. Et à quoi se reconnaît leur maîtrise, à ceux-là ? Au fait, sans doute, qu’il parviennent à vous époustoufler avec ce qui, au bout d’une plume moins avisée, vous aurait navré.

J’admets avoir une appétence pour le laid et le sordide dès lors où l’on sait le faire reluire ; qu’on l’expose dans ce qu’il a de plus travaillé. Il est facile de faire du gore à pas cher (Jackals) ou du semi-porno salace pour la seule finalité de l’être ; c’est un art cependant moins aisé et autrement plus exigeant que de tirer la beauté d’immonde. Le genre dans lequel excelle Suehiro Maruo, dans un registre Ero Guro encore différent de celui du désopilant et perturbant Shintaro Kago. Car un connaisseur – ou même un profane clairvoyant – lorsqu’il pose ses yeux sur ce qui étincelle, fut-ce de noirceur, trouve même des nuances de sublime à l’ignoble.


Sacrément consacré, Suehiro Maruo peut se targuer d’avoir été encensé par monsieur Jean Giraud en personne. Dans le domaine du dessin, la louange de Mœbius tient lieu sanctification. Koichi Koike n’eut-il pas droit lui aussi à ce titre de gloire ? Giraud ne distribuait ses grâces qu’avec parcimonie, aussi fallait-il se ruer sur toute œuvre qu’il encensait, ne serait-ce qu’à mots couverts.


La Jeune Fille aux Camélias a le parfum du scandale, ce qui n’enivre que mieux nos sens lorsqu’on s’y éprouve. Rarement, sinon jamais, je n’ai constaté de pareils dessins. La minutie de l’horreur ; et d’une horreur qui appartient bien à son auteur, est rapportée avec une superbe et un sens du détail justifiant jusqu’à la moindre parcelle de sang ou de larme venue nous gicler dessus.

Il arrive qu’un morceau de glace puisse être parfois si gelé qu’on se brûle paradoxalement avec, de même, le présent manga est si hideux qu’il en devient resplendissant. Savoir magnifier l’abject avec une telle minutie dans la plume traduit une vision de l’auteur, une vision sincère et pure capable de rendre le répulsif attrayant. Qu’il ne soit pas manchot au moment de nous rapporter ses esquisses aide qui plus est pour beaucoup à nous délecter de cet odieux festin.


Rien que les premières planches donnent le ton. On les jurerait presque toile de maître, présentant une abjection statique dans ce qu’elle a de plus radieuse. Pas une goutte d’encre n’est alors de trop pour nous initier à ce spectacle liminaire ; remarquable introduction à une œuvre qui nous happe ainsi dans ses immondices.


La culture populaire contemporaine, malhonnête et perverse au sens où elle inverse les valeurs, a beau jeu de nous présenter dans ses fictions les « Freaks » comme des victimes. Suehiro Maruo a beau jeu de les présenter pour ce qu’ils sont : des monstres. La laideur et le grotesque de leur être charnel déborde sur leur âme et conscience. À moins que ce ne soit l’inverse. N’espérez pas de bêtes de cirque au grand cœur, car le cœur est encore l’organe qu’ils exhiberont le moins de toute l’œuvre, à moins qu’on ne leur ôta de la poitrine.


Ce n’est pas Moche, Bête et Méchant que nous lisons ici, mais Hideux, Vicieux et Cruel. Chaque case semble avoir été commise pour étouffer toute éventuelle forme d’espoir que l’on put avoir envers le genre humain. Judicieuse asphyxie que celle-là.

Je suis d’ailleurs admiratif de ces animateurs qui ont eut dans l’idée – géniale – de l’adapter en version animée. On osait de sacrées choses à l’époque, loin des mièvreries en couleurs éclatantes qu’on nous déverse dans la gueule de nos jours.

Que les plus sensibles s’abstiennent d’une pareille lecture. Disons qu’elle est… très japonaise dans les termes. Serais-je ministre de la culture que je dirais que l’œuvre est remarquable sur le plan de la libération des mœurs.

Vous devinerez à tous ces détours que la jeune Midori, 12 ans, entourée de monstres infects et, pour plusieurs d’entre eux sinon tous, libidineux, amène à quelques planches pour le moins fâcheuses. Le scandale, après tout, s’accepte sans modération s’il souhaite ne pas usurper son titre. Tenez-le-vous pour dit si vous vous pensez large sur le plan du sang et de la nudité tapageuse, c’est encore ce qu’on ne voit pas et ce qu’on devine qui perturbe le plus.


L’histoire narrée finalement, est correcte, quoi qu’un peu courte. Le premier chapitre est encore ce qui aura le mieux fait effet sur nos sens pour s’assagir relativement un chapitre après l’autre. La Jeune Fille aux Camélias finit par ne plus être tournée que vers sa maigre intrigue plutôt que ses frasques horrifiques sans que celles-ci ne s’absentent jamais longtemps néanmoins.

La pagination reste somptueuse jusqu’à la fin, afin que nous puissions nous réjouir du spectacle horrifique jusqu’au bout.


La conclusion, au diapason de l’œuvre est assez cryptique, en tout cas tourmentée par des graphismes et la vision de l’auteur qui, parfois, nous dépasse. Ce manga, en fin de compte, était une expérience engageante, quoi qu’un peu vaporeuse, n’étant tournée vers aucun autre objectif qu’un déballage artistique et terrible dont les tonalités variaient en fonction des chapitres. Je persiste à penser, après avoir achevé ma lecture, qu’aucun Ero Guro, même le meilleur à supposer que ce fut pas celui-ci, ne dépassera jamais le 7/10 du fait que ces œuvres, finalement, sont tournées uniquement vers l’accomplissement du registre dans lequel ils s’inscrivent. Ce n’est pas pour autant qu’on ne savourera pas la lecture pour peu qu’on ai l’esprit ouvert.

Josselin-B
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il y a 6 jours

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Josselin Bigaut

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