Qu'est-ce que cela fait d'accepter qu'on mérite le bonheur ?

Ce tome fait suite à Low Volume 4: Outer Aspects of Inner Attitudes (épisodes 16 à 19) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome pour espérer de comprendre quelque chose. Il s'agit de la fin de l'histoire. Il comprend les épisodes 20 à 26, initialement parus en 2020, écrits par Rick Remender, dessinés et encrés par Greg Tocchini, et mis en couleurs par Dave McCaig. Il comprend les couvertures originales de Tocchini, ainsi que les couvertures variantes de Matteo Scalera (3), Greg Tocchini (), Andrew Robinson (*2), Dan Brereton, Mahmud Asrar, Max Fiumara.


Sur la Terre dans des millions d'années, alors que le soleil a enflé au point de devenir une menace pour la vie, Stel Caine et en train de cauchemarder : son mari Johl est en train de conduire un véhicule à toute allure, avec elle à ses côtés, et sa jeune fille Della à l'arrière. Son mari lui assure qu'il n'y a personne à leur poursuite. Soudain, Della n'est plus à l'arrière, elle a chu sur la chaussée au milieu de la circulation. Personne ne s'arrête, personne ne fait attention à elle. Stel voit sa fille la regarder avec la conviction que sa mère la sauvera. Son mari ne s'est aperçu ne rien et ne ralentit pas. Finalement la voiture s'arrête mais Della est bousculée par la foule qui ne lui prête aucune attention. Dans sa tête, sa mère l'entend dire qu'elle avait raison, que les mots contiennent un pouvoir, mais que parfois quand on encourage quelqu'un à espérer, ça ne fait que rendre la catastrophe plus insupportable. Stel avance vers elle en courant, mais elle s'enfonce dans une sorte de sables mouvants. Elle s'enfonce progressivement comprenant qu'elle ne s'en sortira pas et commence à lâcher prise, sentant toute sa culpabilité l'abandonner. Mais son fils Marik lui tend la main et la sort de là.


Marik emmène sa mère dans un autre véhicule jusqu'à un dôme qui la protégera de la tempête solaire qui commence à enfler. Alors qu'il la tire par le bras pour entrer dans l'abri, elle aperçoit son autre fille Tajo derrière elle, mais juste trop loin pour qu'elle puisse l'attraper par la main. Finalement elle se retrouve à l'abri avec sa fille Tajo adulte, mais son fils Marik qui se décompose dans ses bras. Tajo continue d'avancer dans l'abri jusqu'à rejoindre le Helmsman Zoske. Celui-ci s'adresse à la Forge par le système de communication, requérant une évacuation immédiate, déjà demandée il y a huit mois. Les barrières anti-solaires cèdent l'une après l'autre. Les cités terrestres sont tombées l'une après l'autre. le temps est compté. Les installations ne parviennent plus à extraire de l'air. Un autre militaire arrive pour indiquer que le commandant Rico Caine est ligne, depuis la faille Mariana. Ce dernier explique qu'ils n'ont pas oublié l'évacuation mais que les éruptions solaires interrompent les communications et qu'il ne dispose pas de pilote pour accomplir cette mission du fait d'une probabilité d'échec de 98%. le commandant Zoske ne peut pas croire qu'il les abandonne ainsi, qu'il condamne à la mort le million d'habitants du dôme. Il se retourne alors vers Stel Caine et lui demande si elle a enfin compris pour quelle raison il a refusé de lui confier une sonde.


En 2013/2014, Rick Remender lance 3 séries indépendantes Black Science (avec Matteo Scalera, terminée en 2019, 43 épisodes regroupés en 9 tomes) et Deadly Class (avec Wesley Craig & Lee Loughridge, toujours en cours en 2021). Low est donc la deuxième série à parvenir à sa conclusion, 6 ans après son début, avec toujours le même dessinateur qui a laissé sa place de coloriste à Dave McCaig à partir de l'épisode 9. le lecteur était un peu inquiet car la série a connu une interruption de 2017 à 2020, laissant craindre qu'elle ne serait jamais achevée. Il reprend le cours des événements, peut-être en s'étant remis dans le bain avant, pour bien situer les personnages et les lieux. La famille Caine : Stel (la mère), Johl (le père), Della & Tajo (les filles), Marik (le fils), et la cité sous-marine de Salus. Il s'accroche un peu pour l'épisode de reprise qui semble être un amalgame entre des souvenirs traumatiques de Stel et un cauchemar particulièrement angoissant, pour reprendre complètement pied avec l'épisode 21. La fin de la vie humaine sur Terre semble imminente, entre les cités sous-marines qui n'ont plus de ressources, où l'oxygène vient à manquer, et les cités terrestres en nombre inconnu, dont les protections contre les éruptions solaires deviennent de plus en plus insuffisantes. Stel Caine restent au centre des événements, une incurable optimiste, quelles que soient les épreuves qu'elle doivent affronter. Les habitants des dômes terrestres ont décidé d'exterminer ceux des dômes sous-marins, jugeant qu'ils ne sont qu'une survivance d'un passé qui empêche l'humanité d'évoluer. Ces derniers ont décidé de tenter le tout pour le tout, et faire revenir à la surface la cité de Salus. L'intrigue mélange donc survie désespérée de deux peuples dans un écosystème de moins en moins vivable, et guerre entre ces deux communautés.


Le lecteur retrouve la narration visuelle si particulière de la série. Comme dans les tomes précédents, les pages semblent avoir été réalisées par une seule et même personne, tellement les couleurs et les traits encrés s'interpénètrent et se complémentent. En fin de tome, se trouvent 7 pages en noir & blanc permettant de mieux se rendre compte des éléments représentés à l'encre par le dessinateur, et par différence de ce qu'apporte le metteur en couleurs. C'est d'ailleurs surprenant à quel point le lecteur perçoit d'abord les couleurs, pour une ambiance fauve ou enténébrées, ou saturée de luminosité, avant de distinguer les formes, les personnages, les décors. En fonction des séquences, le dessinateur fait fortement varier le niveau de détails des uns et des autres. Il peut s'agir de vagues silhouettes évoluant sur un fond vide de traits encrés, comme une représentation détaillée, avec des costumes complexes, et un environnement consistant et futuriste. À certaines moment, l'artiste se focalise sur le mouvement, le lecteur éprouvant parfois des difficultés à reconnaître les formes, à identifier un personnage ou une partie de son anatomie. À d'autres moments, au contraire, la représentation prend racine dans une approche descriptive méticuleuse.


Du coup, en fonction des séquences, le lecteur peut parfois peiner à suivre la narration visuelle, devoir prendre du temps pour déchiffrer une case ou peut-être deux, et à d'autres passages se retrouver emporté par des images d'une grande clarté. Régulièrement, il reste le souffle coupé par une vision spectaculaire : Stel s'enfonçant dans les sables mouvants, un groupe de jeunes écolier défilant devant Stel & Zem présentés comme dans un zoo, Zoske paradant entre deux bataillons de soldats, la flotte sous-marine attaquant le dôme de Salus, la cité de Salus émergeant à l'air libre, Zoske pilotant une armure de combat bardée d'armements, un crâne explosant sous un tir d'arme, etc. À certains moments, le lecteur ne sait plus trop sur quel pied danser : s'agacer d'une case trop petite avec des formes inidentifiables, ou bien se laisser porter par une narration visuelle singulière et très personnelle. À chaque fois, son intérêt pour l'intrigue emporte le morceau, et le plaisir de lecture est bien présent, même avec une case difficile, même avec de nombreuses petites cases, ou en passant tout d'un coup à un dessin en double page.


C'est donc la fin de l'histoire et le lecteur éprouve la surprise de découvrir que le scénariste mène tous fils d'intrigue à leur terme, sans en oublier, même pas la possibilité d'un autre monde qui pourrait accueillir la vie humaine. Il porte également à son paroxysme la dynamique de fond du récit : mettre l'optimisme inébranlable de Stel à l'épreuve des pires drames, des pires catastrophes. Non seulement, elle continue à souffrir du fait du sort de ses enfants, mais en plus l'antagonisme entre les habitants de la surface et ceux des océans escalade jusqu'au conflit armé pour l'extermination des seconds, avec des discours bien haineux. le thème de l'espoir envers et contre tout reste au centre du récit. Au fil des épisodes, le lecteur retrouve le flux de pensée d'un personnage principal ou d'un autre, ressassant une facette ou une autre de ce thème. Il peut alors confronter ses propres convictions aux leurs.


En vrac. La sensation éprouvé la première fois que quelqu'un t'a expliqué la mort. La conviction que la persévérance est récompensée. Qu'est-ce que cela fait d'accepter qu'on mérite le bonheur ? Il suffit de refuser que le monde change son coeur pour pouvoir changer le monde. Si tu éclaircis les couleurs de tes pensées, l'univers finira par les réfléchir. Regarder les épreuves depuis le futur et pouvoir imaginer qu'elles sont arrivées à quelqu'un d'autre. L'imagination existe pour se représenter et préparer le futur. Il ne faut pas se projeter dans un futur trop lointain parce que tout se termine avec la mort. Avoir confiance dans le futur pour ne pas vivre un aujourd'hui creux. En poussant jusqu'à la limite de la rupture le dogme du pouvoir de l'optimisme, le scénariste pousse le lecteur dans ses derniers retranchements, le mettant au défi de rester optimiste, tout en montrant que ce même optimisme soulève des montagnes. le lecteur ressent l'auteur lutter contre ses propres démons, contre sa propension à la dépression, plaçant sa salvation dans la pratique de l'optimisme à tout crin. du coup, le lecteur continue de s'interroger sur le sujet bien après avoir terminé la dernière page.


Ce dernier tome que le lecteur n'espérait plus vient conclure cette histoire, si singulière, à la fois pour son héroïne optimiste, et pour la narration visuelle sortant de l'ordinaire, n'hésitant pas à mettre la couleur en avant, à passer en mode impressionniste, à privilégier les formes à la description. Les auteurs jouent admirablement sur l'investissement émotionnel du lecteur pour le personnage principal, Stel étant positive du début à la fin, pour questionner son optimisme déraisonnable.

Presence
9
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le 10 juil. 2022

Critique lue 28 fois

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