Dans Aliens, le retour, Ellen Ripley est sollicitée par la compagnie Weyland-Yutani pour rejoindre une colonie établie sur la planète LV-426, en qualité de consultante et accompagnée de Marines surentraînés. La liaison avec les colons a été soudainement interrompue, ce qui pousse le conglomérat à enquêter. Ripley a-t-elle vraiment le choix de prendre part à l’expédition ? Elle connaît bien les lieux pour y avoir perdu un équipage, ce qui l’oblige d’ailleurs à se soumettre régulièrement à des examens psychiatriques. Ses explications sont mises en doute par sa hiérarchie, sa licence de vol a été suspendue pour une durée indéterminée et ses facultés psychiques font l’objet de circonspection. « La Lune de glace » peut difficilement cacher ses liens filiaux avec le scénario de James Cameron. On retrouve en effet plusieurs points communs entre les deux récits : des expéditions anciennes victimes d’« accidents », une communication rompue avec des stations coloniales, une héroïne considérée comme psychologiquement malade et pour qui la mission proposée constitue peut-être une ultime chance de réinsertion professionnelle, une menace extraterrestre encore obscure mais apparemment capable de décimer un équipage…


Suzanne, le personnage central d’Europa, présente une forme d’autisme et des troubles de la sociabilité. Sa vie n’a rien d’un rêve éveillé. « Je squatte chez ma conne de frangine et son con de mari. Je dors sur le canapé. » Pour bien comprendre ce que représente pour elle la perspective d’une nouvelle mission, il suffit de se pencher sur les planches (somptueuses) de Zoran Janjetov. Ces dernières nous font passer d’un immeuble de type HLM couvert de graffitis et sis dans un quartier malfamé à un édifice ultra-moderne équipé d’une technologie de pointe. En prenant part à une troisième expédition scientifique vers la quatrième lune de Jupiter (un commentaire indique toutefois qu’il s’agirait en fait de la deuxième lune), Suzanne renoue avec un métier qu’elle connaît sur le bout des doigts (ses résultats aux tests ne cessent d’ailleurs d’impressionner ses interlocuteurs). Le CESS lui propose de se joindre à un vol interplanétaire sur Gagarine, un gros porteur russe, avec des membres du corps spatial de l’ONU et un planétologue du CERN (qui n’a pas forcément envie d’être là et le martèle à longueur de temps). Le commandant Douglas fera office, pour Suzanne, de copilote et de chef d’expédition. Leur relation constitue d’ailleurs l’un des points forts de l’album. Comme elle, il fait l’objet d’une certaine défiance. On le dit « malade » et « alcoolique ». Ce n’est pas un hasard s’il peine à instaurer un climat de confiance et de solidarité parmi l’équipage. Mais il va en contrepartie se révéler proche de Suzanne, dont il défend la place sur la mission, et en laquelle il semble quelque peu se reconnaître.


Partant, l’intrigue va être scindée en deux. Sur une lune de glace étrangement dépeuplée, l’équipage découvre des traces de sang et un océan intérieur aussi beau que mystérieux. Sur terre, l’Église semble bien informée et prête à tout pour taire des phénomènes extraterrestres qui, on le comprend, pourraient porter atteinte à ses dogmes. Les zones d’ombre se multiplient ici et là. Pourquoi l’ordinateur de bord du vaisseau Gagarine a-t-il commis des erreurs de calcul ? Qui a effacé des données essentielles des serveurs de la colonie spatiale ? Est-il normal d’avoir tant de lumière sous terre et une gravité si forte sur cette lune ? Qui est ce prêtre assassiné et que signifient les lettres AMDG tracées avec son sang ? Au nom de quoi un producteur d’émissions télévisées a-t-il été sacrifié par des fondamentalistes religieux ? Toutes ces questions restent en suspens et viendront alimenter les prochaines tomes d’Europa. Il faut le souligner, le récit et ses incertitudes prennent place dans des planches particulièrement soignées. Qu’il s’agisse de dessiner l’espace, un vaisseau, une colonie spatiale ou le Saint-Siège, Zoran Janjetov nous offre des vignettes sublimes et des points de vue intéressants.


Sur Le Mag du Ciné

Cultural_Mind
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le 13 mars 2021

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Cultural Mind

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