https://branchesculture.wordpress.com/2015/06/04/la-main-heureuse-frantz-duchazeau-mano-negra-casterman-arte-critique-2/
Hey, vous! Oui, vous, là! Ça vous dit d’aller voir la Mano Negra? Là, maintenant, tout de suite. Alors venez et embarquez sur le crayon magique de Frantz Duchazeau pour (re)découvrir la bande de Manu Chao (alias Oscar Tramor) comme vous ne l’avez plus vue depuis bien longtemps, au sommet de sa gloire, dans les années 90 à l’heure des concerts presque sauvages et d’une folie adolescente bienvenue.
En moto, à pied, en auto-stop, tous les moyens étaient bon pour rallier un des ces événements attendus de pied ferme, organisés de main… noire. Avec La main heureuse, c’est tout ça et tout le reste que Franz Duchazeau propose au lecteur, dans un road movie (ou plutôt comics) autobiographique et salvateur.
Janvier 93, Frantz Duchazeaubeneix est plongé dans ses planches de bande dessinées noires, sarcastiques et variant autour du thème des disputes incessantes de ses parents. Rien ne semble pouvoir le sortir du calme ambiant qui le fait s’ennuyer profondément. Rien, et encore moins cette campagne désenchantée et inanimée que seul un clocher, une tondeuse ou un tracteur peut un peu bousculer. Sinon rien, le néant, une table de dessin, un chat et l’imagination de l’adolescent. Mais, c’est sans compter la mopette mal entretenue de Mike qui vient ébranler le petit village à des kilomètres à la ronde par son moteur fort bruyant mais pourtant peu efficace.
Et pourtant, ce n’est pas faute d’essayer, tant le camarade de Frantz se plie, tente d’accélérer, de se mettre en position aérodynamique. Car, oui, la nouvelle est de taille et il lui faut l’annoncer au plus vite: dans deux jours, la Mano Negra s’installera pour un show, annoncé comme torride dans la nuit hivernale de Bordeaux, à seulement 100 km de chez Frantz et Mike. Les deux « poteaux » ne peuvent pas rater cette occasion en or de toucher la main noire du King Kong. Mais, sur un scooter qui tire à du 35 à l’heure, l’aventure ne fait résolument que commencer!
Après une préface de l’excellent Jackie Berroyer, ça commence comme dans une chronique de journaliste rock star onirique et comme on n’en fait plus. Le décor est planté et la formidable épopée de ces fans d’un autre temps (et pourtant pas si lointain, 25 ans tout au plus) peut commencer. De l’ennui à la furie, il n’y a qu’un pas… une main noire d’un gorille qui emporte tout sur son passage. Et notamment ses kids qui laissent le pouvoir à l’imaginaire, aux fantasmes de danse, de transe et de fantasmagorie suggéré par cette Mano Negra qui fait des ravages.
Et c’est là tout le charme de cette nouvelle oeuvre de Duchazeau: il revit complètement ce moment de gloire adolescente, cette folie qui veut que vous quittiez mère, chat et dessin pour une aventure à nulle autre pareille. Cet album, ce n’est pas seulement un crayon trempé dans une nostalgie mal placée, c’est un voyage dans le temps à bord d’une mobylette de tous les possibles, une source de jouvence et une chronique de concert comme on n’en fait presque plus, presque punk et pas marketés pour un sous. Le dessin est fulgurant, authentique, on sent la rage de ces deux enfants poussés par leurs rêves, en un temps où tout semblait permis. On s’y croit, on y est, et c’est jouissif!