Fan de la Mano Negra ou non, l'ex-adolescent perdu dans une province somnolente où les rêves menacent toujours de finir écrasés par la banalité de la vie et le renoncement facile se reconnaîtra aisément dans cette épopée à mobylette (chez moi, on disait à "chiotte", c'était dans les années 70) pour essayer d'aller voir son groupe favori jouer loin, trop loin de chez soi. Pour vibrer à leur musique comme on vibre vraiment à cet âge-là. Pour oublier aussi les crises familiales (pour Duchazeau, le divorce douloureux de ses parents, qui lui arraché les membres un par un), ou bien les filles qu'on commence à trouver belles mais tellement inaccessibles. Pour vivre, avant tout. Et vivre AUJOURD'HUI. "We want the world and we want it now" chantait Jim Morrison, ma Mano Negra à moi. Bon, "la Main Heureuse" est un livre qui frappe juste, et fort. Grâce à un dessin remarquable, dans le dépouillement mas également dans la précision. Grâce, je l'ai dit, à la pertinence de cette représentation, assez noire finalement, de nos existence bornées mais qui résistent. Pourtant, au final, on sort de ces 100 pages élégantes avec une frustration très forte : c'est que, même si l'on ne contredira pas le choix de l'ellipse finale (ce concert parfait, nos deux ados l'avaient déjà tellement vécus dans leur tête qu'il ne fallait sans doute pas le représenter), le rôle croissant des pages "oniriques" dans le récit de Duchazeau, qui intrigue au début, finit vite par lasser, puis par irriter : en dé-réalisant une chronique dont la force vient au contraire de son absolue véracité, et de son universalité, Duchazeau perd le fil, et l'attention de ses lecteurs. Abandonnés sur le bas côté d'une histoire qui était pourtant la nôtre, nous en voulons beaucoup à Duchazeau pour cet échec. [Critique écrite en 2015]