Si je suis honnête avec moi-même, je me dois de reconnaître que, mis à part quelques BD érotiques, aucun livre de Manara pour lequel il a écrit lui-même le scénario ne m'a jamais complètement convaincu. Et ce n'est pas ce "Caravage" qui va changer cette évaluation : si l'on ne jugeait ici "que le dessin", alors ce livre serait une merveille des merveilles, tant le trait de Manara, aussi bien pour les personnages que les décors atteint un niveau de perfection inouï. De plus, la volonté - pertinente - de faire écho aux œuvres du Caravage dans la composition des plans, des mouvements, des expressions, a poussé Manara à se transcender, et chaque page tournée offre de nouveaux délices au lecteur. Mais un bon livre, c'est aussi soit un thème fort, soit un scénario palpitant, en tout cas un vecteur soit de divertissement, soit de culture, d'éducation. Et là, "le Caravage", c'est zéro pointé : sous couvert de vérité historique (je pense à la pontifiante et pitoyable introduction sensée conférer de la crédibilité au livre), Manara se laisse aller à romancer la vie de son "héros" à la manière du plus bas "biopic" hollywoodien, offrant une relecture moderne excessivement superficielle d'un personnage a priori bien plus complexe que cela ; mais là où ce livre a vraiment tout faux, c'est dans le rythme effréné qu'il impose aux personnages, aux situations, à l'Histoire : tout passe très vite, rien n'a d'importance, tout est superficiel et vain. Pire, la réalisation d'un tableau se réduit au choix des protagonistes et à la mise en scène de la situation à peindre, sans que rien du travail du peintre ne soit jamais même évoqué par Manara : ce serait acceptable si le propos de Manara était de parler de l'homme derrière le peintre (comme c'est par exemple le cas du génial "Van Gogh" de Pialat), mais c'est en contradiction totale avec les ambitions que Manara manifeste ça et là de parler de lumière et d'obscurité, de la représentation soit disant révolutionnaire du peuple dans les tableaux du Caravage, etc. Bref, ce premier tome du "Caravage" est un échec complet sur le fond, que l'excellence absolue de la forme ne saurait complètement racheter.
PS : sinon, comme d'habitude (bâillement...) chez Manara, le héros ressemble à Delon (... et à Manara ?), et les postérieurs féminins sont bien joliment croqués.
[Critique écrite en 2016]