Ce tome est paru pour la première fois en 2015. Il constitue un complément à La planète des sages dont il peut être lu indépendamment. Il se présente sous la forme d'une page de bande dessinée, en vis-à-vis d'une page de texte. Les pages de BD ont été réalisées par Jul, les pages de texte par Charles Pépin. Cet ouvrage présente 38 philosophes célèbres, ainsi que les écoles grecques.
Le principe de cet ouvrage est identique à celui du premier tome. Le lecteur découvre la pensée d'une quarantaine de philosophes en ordre dispersé. Les auteurs n'ont pas retenu l'ordre chronologique, afin d'éviter de donner l'impression d'une progression logique au fil des époques, pour préserver le potentiel de pertinence de chaque penseur. Ils ont retenu des philosophes d'horizon divers. Il y en a étiqueté comme tel, sans l'ombre d'un doute : Socrate, Raymond Aaron, ou encore Noamh Chomsky. Il y en a d'autres qui sont plus connus en tant qu'économistes, ou politiques, ou psychologues, comme Amartya Sen, Martin Luther King, Jacques Lacan. Le lecteur découvre quelques entrées plus déconcertantes comme Jésus Christ ou encore le Petit Prince.
Chaque entrée se présente sous la même forme. Sur la page de gauche, Jul a réalisé une bande dessinée, qui se termine par une chute de nature comique. Il s'agit donc d'un gag en une page, qui joue sur l'une des idées principales du philosophe concerné, ou sur un de ses traits de caractère. Sur la page de droite, Charles Pépin a rédigé un texte de 25 à 30 lignes mettant en lumière un concept phare développé par le philosophe en question. Il n'y a que 2 exceptions à cette disposition : Noam Chomsky et les écoles grecques qui bénéficient tous deux de 4 pages, soit une illustration sur 2 pages, et un texte sur 2 pages.
Si le lecteur a lu le premier tome, il avait fait l'expérience de textes accessibles, et de gags plus ou moins convaincants, avec un choix de philosophes forcément incomplet au regard l'histoire de l'humanité à l'échelle de la planète. Il avait pu aussi apprécier les choix effectués par Pépin, et le talent de caricaturiste de Jul. Sans surprise, il commence la lecture de chaque entrée par la BD, d'abord parce qu'elle est placée sur la page de gauche en premier et ensuite parce que c'est plus gratifiant (ça se lit plus vite et en plus il y a un gag). Le constat demeure : sous des traits qui semblent un peu grossiers, les dessins de Jul mettent en scène chaque figure historique avec une ressemblance frappante et un allant plein de vie.
Est-ce l'effet du premier tome ? Le lecteur éprouve l'impression que les pages de Jul ont gagné en pertinence et en humour. Alors que, dans le premier tome, le lien entre le gag et la pensée du philosophe n'était pas toujours très direct, ici il semble évident et pertinent. Pour Socrate, Jul organise un banquet des plus réjouissants. Pour Simone de Beauvoir, il montre la présence écrasante de Jean-Paul Sartre. Pour Albert Camus, il met en scène le mythe de Sisyphe, en le liant avec la position de Camus vis-à-vis de Sartre. Est-ce le lecteur qui a gagné en sagesse et qui comprend mieux, ou est-ce Jul qui a affiné la construction de chaque gag ? Quoi qu'il en soit le résultat a gagné en pertinence et en efficacité.
Dans ses gags, l'artiste recourt à différents types de comique. Il peut être de nature visuelle, reposant sur ce qui est représenté, ainsi pour le nightclub de Maurice Merleau- Ponty, ou pour la page blanche sur laquelle John Locke a laissé des traces. Il peut s'agir d'un jeu de mot premier degré pour Alain Badiou, ou d'un jeu de langage en rapport direct avec le philosophe (les questions déstabilisantes de Jacques Lacan). Jul ne se prive pas de jouer avec les codes de son moyen d'expression, que ce soit Slavoj Žižek qui se rend compte qu'il évolue dans une bande dessinée, ou de Theodor Adorno qui croise des schtroumpfs.
Le lecteur prend donc un grand plaisir à découvrir les situations extraordinaires dans lesquelles Jul a placé ces philosophes, n'hésitant pas à les transposer dans l'époque actuelle (Laozi avec une casquette des Chicago Bull) ou au contraire à les renvoyer dans des contextes mythologiques (Peter Singer se retrouvant au temps du déluge). Ces bandes dessinées ne remplacent pas le texte de Charles Pépin, ni n'expliquent ou ne présentent la pensée du philosophe ou un de ses principaux concepts. Certaines nécessitent d'en être déjà un peu familier pour en saisir l'humour. D'autres se comprennent à la lumière du texte en vis-à-vis.
Non seulement le lecteur à l'impression que les gags de Jul ont gagné en pertinence, mais en plus il constate que Charles Pépin y fait plus référence. Il n'a pas plus le sentiment que les pages des 2 auteurs coexistent sans forcément avoir conscience l'une de l'autre. Il éprouve d'avantage l'impression qu'elles se répondent et se complètent. Les gags de Jul ne sont plus simplement une accroche séduisante pour mettre en valeur les textes de Pépin. Ces derniers sont toujours aussi ciselés.
D'évidence, Charles Pépin ne peut pas synthétiser toute la pensée d'un philosophe, parfois toute une vie et des dizaines d'ouvrages, en un texte d'une trentaine de lignes. Il doit choisir quel concept il mettra en avant, en s'appuyant sur une ou deux anecdotes qu'il estime être les plus éclairantes. Cette obligation du choix s'impose sous forme de contrainte forte dès la constitution de l'ouvrage. Des philosophes il y en a des centaines dans l'histoire de l'humanité, et il faut choisir parmi eux, choisir au travers des époques, choisir dans différentes cultures, différents pays. Même des ouvrages plus classiques, avec une plus forte pagination (comme Philosophes – Les grandes idées tout simplement) sont soumis à cette contrainte de synthèse, par essence réductrice.
À la lecture, plusieurs caractéristiques de l'écriture de Charles Pépin sautent aux yeux. Pour commencer, il utilise un registre de vocabulaire compréhensible par le commun des mortels. Certes il y a le risque de tomber dans un degré de simplification encore plus élevé, mais il y a adéquation avec l'objectif de vulgarisation. Ensuite, chaque texte prend soin de ne pas devenir un panégyrique. L'auteur glisse toujours une ou deux réflexions montrant que chaque thèse n'a rien d'universel, ou que le philosophe concerné n'est pas un individu parfait, au-dessus des polémiques.
Bien sûr (car c'est un attendu implicite pour le lecteur) chaque texte est structuré avec soin, dans un souci dialectique sous-jacent, mais bien présent. Chaque phrase est construite avec des mots soigneusement choisi. Il suffit pour s'en rendre compte de tenter l'expérience de retranscrire l'entrée sur un philosophe à une autre personne. L'expérience est édifiante : ce qui semble évident et simple à la lecture devient un vrai défi à reformuler pour le bénéfice d'une tierce personne. Non seulement chaque texte est articulé avec soin, mais en plus il ne se contente pas d'énoncer une doctrine ou une maxime. Il contient aussi une interrogation sur sa portée, une évocation sur son contexte. En outre, Charles Pépin n'a pas choisi que des philosophes évidents.
L'auteur prend le pari et le réussit de présenter Jésus Christ sous un angle philosophique, sans se focaliser sur le credo de la religion catholique. Il sait dire en quoi le discours de Jésus était révolutionnaire, indépendamment de l'Église à venir (et le gag de Jul est irrésistible). Dans la même optique d'ouverture d'esprit, Charles Pépin présente de manière synthétique la théorie d'Albert Einstein (celle de la relativité) en mettant en lumière en quoi elle bouleverse la manière dont l'homme se représente au sein de la création (et le gag de Jul est également pile entre les 2 yeux).
La forme retenue (1 page BD + 1 page texte) produit parfois un effet inattendu, celui de confronter l'idée philosophique choisie, à la vie du philosophe. Loin d'être aveuglément déférents vis-à-vis de ces penseurs de l'humanité, les auteurs s'amusent à montrer le décalage qu'il y a pu y avoir entre leur œuvre et leur vie. Ils s'amusent aussi à mettre en œuvre ces concepts de manière facétieuse. Par exemple pages 46 & 47, le lecteur constate qu'ils lui resservent 2 pages déjà présentes dans le tome 1. Derrière cette provocation, il y a l'illustration patente qu'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.
Ce deuxième tome de la Planète des sages propose au lecteur de découvrir une quarantaine de philosophes, sous une forme très synthétique et très distrayante. Il ne s'agit pas d'un stage d'initiation, mais d'une première prise de contact. Toutefois, Charles Pépin et Jul s'adressent bien à des adultes avec du temps de cerveau disponible. Leurs propos sont construits et denses, sous une apparence drôle et facile d'accès, une entreprise de vulgarisation exemplaire.