Ce tome est le premier d'une série de 4. Il est initialement paru en 2004, publié par les éditions Nickel. Il a bénéficié d'une réédition en 2017 par les éditions Glénat. L'histoire a été écrite par Pat Mills, dessinée, encrée et mise en couleurs par Franck Tacito. Cette série est dérivée de la série Requiem d'Olivier Ledroit & Pat Mills. Ce tome peut se lire sans avoir lu la série Requiem.


En 2002, à Gippeswick en Angleterre, Claudia Blackwell vient de décéder d'une combustion spontanée, dans son lit. Le jour même, sa fille Carly Blackwell revient de sa séance de jogging avec Jim son amoureux. En entrant elle annonce à tue-tête à sa mère la bonne nouvelle : il l'a demandée en mariage. Tout en se déshabillant pour prendre sa douche, elle passe devant la chambre de sa mère et découvre son cadavre. Peu de temps après ses funérailles sont organisées par le Colonel qui y a invité les amis de sa mère, à savoir Gaspard (le fils du colonel), Docteur McShane, Sir Cecil Molson, Lord Victor Bradley, les Hamilton-Marshal. Le corps de Claudia Blackwell est incinéré et les invités chantent un bien étrange hymne à Pan.


L'âme de la défunte quitte son corps et traverse des flammes qu'elle se promet de dévorer, plutôt que de sa faire dévorer par elles. Son âme arrive sur la planète Résurrection où le temps s'écoule à rebours, et Claudia Blackwell y est réincarnée en vampire, du rang Nosferatu. En avançant elle découvre une voiture abandonnée des années 1950, avec une valise. Elle s'habille avec les vêtements féminins qu'elle y trouve et prend le volant. Elle arrive dans une ville appelée Rossville au milieu de laquelle s'est écrasée une énorme navette spatiale. Tous les habitants sont des zombies américains réactionnaires. Ça tombe bien : elle n'a pas peur des zombies. Ces derniers s'attaquent aux extraterrestres humanoïdes qui étaient présents dans la soucoupe, puis décident de s'en prendre à elle du fait son apparence différente.


Difficile de ne pas avoir l'œil attiré par la couverture outrageante réalisée par Olivier Ledroit, avec cette femme à la plastique généreuse, habillée (ou plutôt déshabillée) en dominatrice, avec un costume aussi baroque que révélateur, aussi flamboyant que gothique, aussi fantaisiste qu'impossible à porter. En découvrant ce tome, soit le lecteur sait qu'il s'agit d'une série dérivée (lecteur de type A comme affranchi) de Requiem, chevalier vampire (série débutée en 2002), soit il l'ignore (lecteur de type N, comme novice). Dans ce deuxième cas, il part avec un petit handicap, car Pat Mills n'est pas le genre de scénariste à se répéter. Malgré tout, il découvre une histoire linéaire, assez facile à suivre, même si le mode de fonctionnement de Résurrection n'est pas très détaillé. Il suit donc une femme (ou plutôt son âme) qui arrive dans une sorte d'enfer, pour entamer sa nouvelle vie. Le récit commence par un phénomène surnaturel, qui est celui de la combustion spontanée. Il introduit, le temps de 3 pages, les relations de la défunte, visiblement issues d'une secte sataniste. Puis on passe sur la Lune pour l'accueil de Claudia, sa formation pour devenir une Nosferatu, son retour sur Résurrection pour une séance de shopping démoniaque, suivi par une agression sur sa personne.


Le lecteur de passage a de quoi s'interroger sur ce qu'il est en train de lire. Le scénariste donne l'impression de se taper un gros délire, avec un enthousiasme communicatif, qui n'a d'égal que le mauvais goût de chaque séquence, de chaque invention. Si l'on passe outre le comportement dérangeant des invités à la crémation, il n'est pas possible d'ignorer les cadavres mutilés et torturés du passage en enfer de Claudia, les propos xénophobes et bas du front des zombies de Rossville, le signe $ sur le vaisseau qui emmène Claudia sur la face cachée de la Lune, les tortures infligées à Claudia en guise d'initiation et de formation, ou encore sa plastique avantageusement mise en avant par un bustier au décolleté plongeant, et un pantalon très moulant. Quel que soit le type de lecteur A ou N), il est forcément un peu déçu par la différence de rendu entre la couverture et les pages intérieures. Franck Tacito est un dessinateur français (et scénariste) qui avait déjà plusieurs séries à son actif quand il a dessiné la présente série, dont 666 avec une scénario de François Froideval, Deadhunter et Magika.


Cet artiste réalise des planches moins sophistiquées que celles d'Olivier Ledroit, en utilisant des traits encrés pour détourer les formes. Les apparences des personnages permettent de tous les distinguer facilement, même si les visages manquent parfois un peu de précision dans les traits, et de nuances dans les expressions. Les 5 pages se déroulant sur Terre montrent déjà des exagérations dans certaines morphologies et l'artiste se lâche encore un peu plus pour celles des êtres qui peuplent Résurrection. En fonction de son humeur, le lecteur peut y voir un manque de maîtrise de l'anatomie sur Terre, ou une licence artistique sur Résurrection pour rendre compte des caractéristiques surnaturelles de ces individus. Le fait que Franck Tacito utilise un trait fin d'épaisseur uniforme pour détourer chaque élément ajoute un peu à l'impression d'amateurisme du rendu global. Cependant, le lecteur constate rapidement que cet artiste ne ménage pas sa peine. Du coup qu'il soit de type A ou N, il se rend compte que chaque case et chaque planche offre une forte densité d'informations visuelles. À l'évidence, Tacito ne peint pas comme Olivier Ledroit, n'a pas la même vision des personnages et des environnements, mais pourtant l'esprit de la démesure et la tonalité pince-sans-rire de la série Requiem sont bien présents.


La première richesse qui saute aux yeux du lecteur réside dans la mise en couleurs. Celle-ci mêle un rendu de type aquarelle, avec des incrustations à l'infographie, et des effets spéciaux également à l'infographie. Tacito utilise la mise en couleurs de manière naturaliste, pour rendre compte des teintes de chaque surface, mais également pour installer une ambiance, en privilégiant une teinte dans certaines séquences (comme le rouge pour une ambiance enflammée), pour souligner le relief des surfaces et parfois pour rendre compte de la texture d'un matériau. Les capacités de l'infographie lui permettent d'incruster des pentagrammes en fond ou en surimpression, ou d'ajouter des flammes plus vraies que nature. La deuxième richesse qui apparaît relève des décors. Dans la série mère Requiem, les personnages évoluent dans des environnements monumentaux qui tendent à les dominer. Dès le début, le lecteur peut être impressionné par la vision de la demeure de Claudia Blackwell, du terrain qui l'entoure. Par la suite, il tombe en arrêt devant la vision de la porte des Enfers, des arcboutants de la demeure de Sire Cryptus aussi gigantesques que gothiques, de la gare routière de Résurrection, de l'incroyable verrière du grand magasin Herods, ou encore la scène de présentation des modèles des modèles de chair fraîche.


Tout aussi important, Franck Tacito ne rechigne jamais à représenter les éléments les plus immondes du récit, que ce soit une éventration, une mutilation, ou un personnage grotesque ayant l'apparence d'un pénis avec ses testicules. Le lecteur peut trouver que ce dernier constitue une provocation gratuite et puérile, mais l'artiste réussit à rendre le concept visuellement viable. Certes Franck Tacito n'est pas Olivier Ledroit et l'apparence de ses dessins peuvent ne pas être du goût de tout le monde, mais il met du cœur à l'ouvrage et fait en sorte que les éléments les plus grotesques fonctionnent avec les autres. Effectivement Pat Mills s'en donne lui aussi à cœur joie dans la provocation facile, et dans l'humour régressif qui tâche, que ce soit ce menu à base de partie charnue et sexualisée de l'anatomie féminine, le bakchich pour passer la douane, ou encore le chauffeur de bus qui conduit sans les yeux, les magasins Herdos (parodie de Harods) spécialisés en cercueils et en sang frais, ou cette ville de Rossville (clin d'œil à Roswell) dont les habitants ont réapparu en zombies, et vu ce qu'ils semblent avoir été, il se pourrait que ce soit un progrès.


Dès la couverture, le lecteur peut aussi s'offusquer de cette femme, réduisant son corps à un objet et la réduisant à sa fonction sexuelle. De surcroît, le scénariste en rajoute une couche avec Carly Blackwell, une oie blanche incapable de capter les sous-entendus des amis de sa mère, ou encore Dame Claudia dont le premier souhait, une fois arrivée sur Résurrection, est de se lancer dans du shopping. Il y a également quelques dessins d'elle dénudée qui vont dans le sens de l'objetisation. Si le lecteur est pinailleur, il peut se dire que seul le corps de Claudia Demona (une fois qu'elle est transformée en Nosferatu) est dénudé, et pas celui de Claudia Blackwell, donc ce n'est pas une femme humaine qui devient un objet de concupiscence. Dans le même temps le lecteur novice peut aussi remarquer que Pat Mills utilise la farce grotesque pour insérer quelques commentaires sociaux, que ce soit les idées réactionnaires des zombies de l'Amérique profonde, ou la permanence du capitalisme avec le symbole du dollar. Mais les gros lourds du combat final (Monsieur Martini, Grozny Pork, E. Rectum, Conn O'Sewer, Lice, Apollo Sex, Drago, le Clown) le ramènent à nouveau à la femme réduite au statut d'objet du désir, comme si cette dimension prenait à nouveau le dessus sur l'intrigue, que ce soit l'existence du Pèlerin (un individu qui assassine les Nosferatu), ou l'obligation de Claudia de parvenir à revenir sur Terre pour offrir sa fille en sacrifice afin de sauver son âme à elle.


Le lecteur affranchi peut se dit alors que cette série dérivée peut se concevoir comme le pendant féminin de la série Requiem, et Dame Claudia Demona est le pendant féminin d'Heinrich Augsburg. Dès le départ, l'auteur indique que Claudia Blackwell a mené une vie dissolue, vouée à la souffrance d'autrui dans des rituels démoniaques. De ce point de vue, elle est alors confrontée aux conséquences de ses actes. Ce qui différencie ce récit d'autres de même nature (en plus de l'humour parfois sophistiqué comme la blague sur le recyclage des emballages, parfois très vulgaire), c'est que Claudia ne change pas de personnalité en passant d'un monde à l'autre. Elle continue de se voir en conquérante, et certainement pas en victime. Elle continue à utiliser sa force et ses pouvoirs. Sire Cryptus lui a fait tatouer des runes de puissance et introduire des talismans de protection sa peau. Elle dispose donc de tous les pouvoirs d'une Nosferatu, et elle est restée aussi libre, indépendante et conquérante, imposant sa volonté aux autres par la force. À plusieurs reprises, le lecteur peut constater que c'est une garce confirmée, ne serait-ce que dans sa manière raffinée d'asticoter le vendeur de cercueils.


La couverture donne un bon aperçu de la dimension gothique du récit, mais aussi de sa volonté de choquer le bourgeois (et les autres), de refuser la tiédeur du politiquement correct, fusse par des blagues graveleuses et faciles. Franck Tacito n'est pas Olivier Ledroit et son dessin manque peut-être d'assurance par endroit, mais il s'implique totalement pour rendre compte de la démesure de Résurrection et de ses habitants, et il y parvient. Pat Mills écrit toujours sans concession pour les transitions ou le bon goût, mais toujours avec une fibre sociale et humaniste bien construite. 4 étoiles en tant que série dérivée de Requiem, si on la mesure à l'aune de l'originale. 5 étoiles si on l'accepte pour ce qu'elle est, avec ses défauts, et son ambition.

Presence
9
Écrit par

Créée

le 27 mars 2019

Critique lue 334 fois

Presence

Écrit par

Critique lue 334 fois

D'autres avis sur La Porte des enfers - Claudia, chevalier vampire, tome 1

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime