Et si le 7 mai 2017, Marine Le Pen était élue Présidente de la République française? C’est le point de départ du roman graphique « La Présidente », dans lequel l’historien François Durpaire et le dessinateur Farid Boudjellal imaginent de la façon la plus réaliste possible les 100 premiers jours de Marine Le Pen à l’Elysée. Un livre glaçant qui met franchement mal à l’aise puisque dans cette BD, on assiste successivement à l’intronisation de la fille de Jean-Marie (qui en profite pour asséner quelques vérités à un François Hollande déconfit), à la composition d’un gouvernement d’extrême-droite (dans lequel on retrouve quelques transfuges de la droite classique, parmi lesquels Nadine Morano et Gérard Longuet, ce dernier étant même carrément nommé premier ministre), à la réalisation de la photo présidentielle (sur laquelle Marine Le Pen veut donner l’image d’une présidente « qui bosse » plutôt que celle d’un chef d’état dans une bibliothèque ou un jardin) et à la première garden party du nouveau régime (à laquelle sont conviées des personnalités qui peuvent enfin exprimer tout haut leurs opinions extrémistes, comme Michel Houellebecq, Dieudonné, Jean Roucas, Brigitte Bardot, Eric Zemmour ou Florent Pagny, par exemple, ce qui risque certainement de valoir quelques ennuis aux auteurs). Jusque-là, ça va encore. C’est dans les pages suivantes que le roman graphique « La Présidente » devient carrément inquiétant. Une fois Marine Le Pen et son gouvernement bien installés, Durpaire et Boudjellal montrent en effet comment la patronne du Front National met en application de manière minutieuse et très rapide le programme nauséabond de son parti. Au niveau de la politique intérieure, une « priorité nationale » est mise en place pour l’accès à l’emploi, les allocations sociales sont fortement réduites pour les étrangers, l’immigration légale est divisée par 20, le regroupement familial est supprimé et toutes les personnes en situation illégale sur le territoire sont directement expulsées. Quant à ceux qui tiennent des propos antirépublicains, comme les rappeurs Youssoupha, Kery James ou La Fouine, ils sont tout simplement arrêtés. La surveillance généralisée via les nouvelles technologies, mise en place par François Hollande et Manuel Valls pour lutter contre le terrorisme, tombe à pic pour aider le FN à repérer les agitateurs. Au niveau de la politique étrangère, ce n’est pas mieux, puisque Marine Le Pen décide de sortir la France de la zone euro et de l’OTAN, tandis qu’elle se rapproche de la Russie de Poutine. Bien sûr, des mouvements de résistance ne tardent pas à se mettre en place, notamment sur la Toile et dans les médias traditionnels. Mais est-ce que cette résistance n’arrive pas un peu trop tard?
Alors que l’actualité nous montre à quel point la menace du Front National est réelle, l’objectif de l’album « La Présidente » est très clair: montrer de manière concrète le chaos économique et social qui serait créé par l’accession au pouvoir de Marine Le Pen. « Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas… », précise d’ailleurs la couverture du livre. Afin de rendre son récit d’anticipation le plus crédible possible, François Durpaire s’est entouré d’une équipe d’experts en économie, en politique et en affaires étrangères. Des experts que l’on retrouve, pour la plupart, en tant que personnages du livre puisqu’on les voit intervenir sur des plateaux télé. Comme le dit Durpaire lui-même à propos de son scénario, aucune des étapes qu’il imagine n’est certaine… mais aucune d’elles n’est impossible non plus. La technique de dessin assez particulière de Boudjellal, qui s’inspire de photographies réelles, participe à ce côté ultra-réaliste recherché par les auteurs. « La Présidente » veut être un électrochoc destiné à réveiller les Français et les amener à réfléchir sur les conséquences possibles de leur bulletin de vote. Reste à voir si le ton parfois un peu professoral de François Durpaire, qui enseigne dans plusieurs universités, permettra de toucher les véritables électeurs du FN et non pas uniquement une élite intellectuelle. Mais il est vrai que c’est souvent là que le bât blesse en matière de lutte contre l’extrême-droite…
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