Je ne vais pas revenir ici sur l'aspect artistique de la BD, vous avez pour ça une quinzaine d'autres critiques très pertinentes. Pour faire court, le scénario est les dessins sont bons dans l'ensemble, mais quelques fois hasardeux ou médiocres. Rien de mémorable. Ce qui est intéressant en revanche et dont je vais parler ici, c'est du "feeling" et du propos. Bref, de ce que le lecteur ressent puis retire de l'oeuvre.



Marine Le Pen gagne les présidentielles de 2017 et accède au pouvoir. On assiste d'un côté à la mise en place d'un gouvernement et à ses coulisses, on ressent de l'autre ses effets sur la vie quotidienne et politique de français moyens.



Si le message final est évidemment détracteur - "Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas" - les textes et dessins restent plutôt froids, factuels et terriblement réalistes. Les enjeux et les personnages sont tous familiers (Zemmour, Marion Maréchal, c'est comme à la télé!). Pour peu que l'on se prenne au jeu, l'uchronie n'est plus seulement plausible, elle est documentaire.


Elle décrit un futur tellement proche et probable que les dessins, approchant la photographie, deviennent le "Ça-a-été" cher à Barthes. Cette BD montre une existence, elle montre notre futur passé. Parvenir à cela est une grande réussite pour une uchronie.



Alors là, vous regardez la note, ah oui un 4 c'est pas terrible quand même, il a cliqué sur la mauvaise étoile?



Là où le feeling et la cohérence de l'univers sont assez bien foutus, le propos politique tombe complètement à plat. Production BD, trame narrative longue (quelques années) et approfondissement étant des concepts difficilement conciliables, on tombe dans le piège de scènes courtes et simplistes, propres à une BD qui veut tout faire et qui n'arrive finalement à rien. Dites bonjour au passage aux raccourcis et caricatures premier degré qui s'enchaînent à tir-larigot. Rattacher des événements passés (lois liberticides du gouvernement Valls) à l'uchronie est sympa, mais tous les événements se déroulent à une vitesse sidérante sans prendre le temps du contexte.


Les personnages politiques sont froids, aseptisés et sans personnalité (à l'opposé de "Quai d'Orsay" par exemple). Paradoxalement à une narration "en coulisses", on les comprend bien peu. Les auteurs évitent ainsi une prise de risque certaine, mais ne laissent à ces personnages d'intéressant que leur figure réelle et le faux "ça-a-été" certes savoureux mais un peu trop facile (Zemmour conseiller à l'Elysée, Gérard Longuet Premier Ministre, Dieudonné VIP...).


Tout ça c'est plus ou moins raté, passons au catastrophique. Les français moyens, ceux auxquels on est amené à s'identifier et qui permettent de contextualiser toutes ces mesures politiques bien vagues, sont nuls. Complètement manichéens. Les uns sont des intellectuels parfaits d'une gauche consensuelle et pétris d'idéal républicain, les autres des sans-le-sous néo-nazis abrutis par la bière et la télévision. Vous l'avez compris, vous allez surtout vous identifier à ces petits Mandelas et autre Jean Jaurès combattant l'obscurantisme. Félicitations, ce sera Gryffondor ! Si vous avez bien lu cette BD, vous comprendrez que les Serpentard sont des vilains pas beaux (quoi? vous le saviez déjà ?!). Artistiquement, c'est pauvre et ridicule - Politiquement, c'est stupide et dangereux. Le militant de gauche moyen est conforté dans sa position, il est valorisé, et ses compatriotes ne sont que des imbéciles fascistes qu'il serait bien vain de vouloir faire revenir dans le droit chemin. Si après ça vous voulez voir une oeuvre politique qui prenne un peu de recul, je ne saurais que trop vous conseiller le dernier Star Wars.


Sous des airs documentaires, militant sans être partisan, le propos est au mieux neuneu sinon tellement stéréotypé qu'il en devient complètement aberrant (un comble pour un gauchiste modéré). Intéressant pour son rapprochement avec l'actualité, il ne reste aux 80% restants de la BD qu'une masturbation intellectuelle : le plaisir (bienvenu) de voir toutes ces figures sur-médiatisées rejouer la décadence de l'empire romain version nazi (propre à toute uchronie ou film catastrophe, le "pire" étant toujours très sexy et fantasmagorique quand il joue sur la ligne rouge du réaliste mais pas encore réalisé) et la vacuité totale d'un propos simpliste et manichéen adressé aux plus fidèles militants et convertis de la gauche profonde.



  • 4 donc pour cette flèche d'un beau bois tordu qui s'est plantée dans
    l'oeil plutôt que dans la pomme.

  • 4 donc pour cette BD de gauche militante qui tombe paradoxalement
    dans ce qu'elle semblerait vouloir critiquer : la démagogie, la
    stigmatisation, la manichéisme primaire, l'arrangement avec quelques
    vérités, l'infantilisation des problèmes politiques...etc.

Slamino
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le 28 déc. 2016

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Slamino

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