François Durpaire et Farid Boudjellal conjuguent leurs forces avec cette BD pour tenter d'inverser l'ascension de Marine Le Pen et ainsi d'éviter la catastrophe (hautement improbable tout de même) que serait l'arrivée de l'extrême droite à l'Elysée. Le résultat est-il convaincant ? Malheureusement non. Voilà pourquoi :
Commençons tout d'abord par le gros point fort de l'oeuvre, qui est selon moi la qualité du dessin. C'est d'ailleurs bien triste que la principale qualité d'une BD engagée soit son dessin, mais bref.. Je ne connaissais pas Farid Boudjellal (le frère un peu caché de Mourad) et son travail est juste excellent. Il donne à chaque case un aspect presque photographique qui renforce largement le réalisme de l'histoire, tandis que le choix judicieux du noir et blanc permet d'insister sur l'aspect dramatique des événements. Le tout petit bémol étant les visages des personnages, qui ont parfois un aspect de cire, manquant de vie, et dont l'expression ne colle pas toujours avec le discours qu'ils tiennent. Mais je chipote, et cela reste de l'excellent travail.
Venons-en au fond maintenant, car c'est là que tout l'intérêt de la BD est censé résider. Et si l'objectif affiché était de convaincre les électeurs du FN (ou du moins les plus hésitants) de la dangerosité de leur candidate, et bien le pari est raté :
Tout d'abord, François Durpaire affirme avoir présenté les événements de la manière la plus objective possible. Mais ce n'est bien sûr pas le cas, car c'est une BD clairement engagée à gauche et qui multiplie les raccourcis et les facilités pour faire passer un message politique, sans jamais tenter de nuancer. L'auteur a sans doute crû que la nuance affaiblirait son propos et donnerait des raisons d'y croire aux lepenistes, mais c'est tout le contraire malheureusement... Je citerai simplement comme exemple un passage, au début de l'album, où l'auteur revient sur une altercation qu'avait eu J.M. Le Pen avec des manifestants à Mante-le-Jolie, en expliquant qu'il molesta une élue PS (!), puis coursa un opposant (?) en le traitant de pédé et de rouquin. Scandaleux certes, mais l'auteur ne précise bien sûr pas qu'il était alors entouré d'une centaine de manifestants qui scandaient "Le Pen, nazi !". Et la BD est remplie de ce genre de facilités trop bonnes à prendre alors que des manières bien plus fines de servir son propos étaient attendues. On aurait très bien pu ajouter un ruban rouge avec inscrit : "Recommandé par le Parti socialiste", voir même "Commandé par le Parti socialiste". Mais là bien-sûr, personne n'aurait ouvert l'album.
La description de la présidence de Marine Le Pen se fait à travers deux grands axes : sa politique en matière de sécurité et d'immigration (les deux étant lié selon le FN), et sa politique économique.
Je ne connait rien à l'économie donc je veux bien croire François Durpaire sur la réalité de cette trajectoire mais le problème n'est pas là. Le gros problème de cette BD, c'est qu'elle montre un effondrement général de la France qui est dû uniquement à la politique économique mise en place (c'est-à-dire la sortie de l'euro, puis de l'UE, qui engendrera une explosion de la dette, notamment celle des PME, une hausse du chômage, des contestations, etc). L'auteur commet l'erreur de croire que le programme économique du FN sera forcément appliqué par Le Pen si elle arrive au pouvoir, et que cette application entraînera la chute de la France. Mais absolument rien ne prouve que la sortie de l'euro et de l'UE sera effectivement mise en application par le FN. Et c'est là où la BD ne convint plus du tout. Car si Marine Le Pen n'applique pas son programme économique, dans ce cas, pourquoi la France chuterait-elle?
L'autre partie concerne la politique de sécurité intérieure. L'erreur est encore plus terrible dans cette partie. La naïveté de Durpaire ici, c'est de croire que le peuple est naturellement bon, et donc que de tels agissements (arrêt de l'immigration, renvoi des immigrés clandestins, arrestations arbitraires des contestataires, violences policières...) provoqueront la révolte du lecteur, choqué par de telles injustices. Quelle erreur ! Le peuple n'est pas bon, fort malheureusement, c'est un mensonge (nécessaire) de la démocratie, et il ne suffit pas de montrer des personnes souffrir pour lui faire changer d'avis, loin de là. Les violences montrées dans cette BD, au contraire, sont exactement celles qu'attendent les électeurs du FN où même ses sympathisants, et Dieu sait qu'ils sont aujourd'hui nombreux en France...
Ainsi, plutôt que de montrer un effondrement causé uniquement par une mauvaise gestion économique, il aurait été bien plus judicieux de s'intéresser aux effets de cette politique répressive et xénophobe, qui a toujours constitué le réel fonds de commerce du FN, et qui pour le coup, ne serait pas abandonnée s'ils arrivent au pouvoir. Les médias nous répètent souvent que l'immigration est une nécessité pour la France. François Durpaire avait là une formidable occasion, et même un boulevard, pour nous expliquer justement en quoi un arrêt brutal de l'immigration et une hausse de la répression (par exemple la fameuse présomption de légitime défense accordée à la police), comme en rêvent les lepenistes, seraient une catastrophe pour la France. Il ne l'a pas fait, c'est bien dommage, et espérons que cette omission soit davantage une naïveté plutôt qu'un aveu de faiblesse.
La Présidente n'est pas une mauvaise BD, loin de là, c'est même plutôt une oeuvre intéressante et agréable à parcourir car elle possède d'indéniables qualités (le dessin, mais aussi le rythme de l'histoire, ainsi que plusieurs originalités scénaristiques bien trouvées qui donnent beaucoup de charme à l'oeuvre). Malheureusement, elle passe à côté de son objectif principal et n'est donc rien d'autre qu'un ouvrage militant, qui multiplie les erreurs propres au militantisme, et qui donc ne convaincra que ceux qui sont déjà convaincus.