Garth Ennis est le bon scénariste anglais, celui qui n’hésite pas à cracher sur les super-héros tout en s’imbibant de bières dans un pub. C’est en tout cas comme ça que je me l’imagine. Sa contribution la plus féroce au tabassage du genre a été la série The Boys de 2006 à 2012, qui en relevait toute l’hypocrisie. La Pro, sortie en 2002, pourrait presque en être la préquelle.
Elle, c’est une professionnelle, une prostituée. Elle a toutes les techniques qu’il faut pour faire jouir un homme, mais sa clientèle est surtout composée de beaux salauds. Elle fume, elle a le majeur facile, et doit élever son gosse dans un appartement miteux. Un jour, un être cosmique, le Voyant, lui offre des super-pouvoirs, pour s’amuser des conséquences. Elle attire l’attention de la Ligue d’honneur, qui décide de l’intégrer à ses rangs. Mais son caractère bien trempé, ses mauvaises manières jurent avec les belles valeurs de l’équipe.
Garth Ennis s’amuse à injecter une pincée de vice, de dépravation dans cette copie si lisse de la Justice League. Tous les archétypes sont repris et parodiés, tel le Saint, Superman benêt et puceau, ou le King et le Sous-fifre, reflets sexuellement ambiguës de Batman et Robin. Les vilains sont d’opérette tels le Nom, le Verbe, l’Adverbe et l’Adjectif (« les noms propres sont tous pris », bien vu) que la Pro humiliera en urinant sur une de ses victimes. A travers la caricature, Garth Ennis le dit bien : que vous êtes ridicules dans vos collants, dans vos batailles, dans vos belles et naïves valeurs. L’Amérique post-11 septembre a changé, l’héroïsme est ringard. La Pro vient de la rue, du petit peuple. Elle apporte le regard cinglant nécessaire..
Au dessin, la jeune Amanda Conner est chargée de donner de l’âme et du corps à ses personnages. Elle fait des merveilles avec son personnage principal, dont les mimiques désabusées et les gestes pour ajuster un super-costume sont autant de petits détails bienvenus. Le trait est simple et un peu cartoon, moins assuré que ce qu’elle fera plus tard avec Power Girl. Il donne l’impression d’avoir été dessiné d’un jet, comme pour mieux en faire ressortir toute sa folie.
La Pro, c’est une sale blague, « et si on créait une super-héroine prostituée ? » avec beaucoup de provocations, d’humour noir et sale. C’est une belle tarte à la figure des super-héros qui vivent dans leur petit monde, impuissants face à la détresse sociale, maladroits contre le terrorisme. La Pro est le poil à gratter, la mauvaise élève, celle qui jure avec le consensus. Elle n’est pas un modèle, profite à son compte de ses pouvoirs, mais elle est aussi celle qui leur révèle leurs failles. Mais l’héroïsme est aveugle, je crois.
Cependant, tout comme le dessin d’Amanda Conner ne rentre pas dans un souci du détail réaliste, il ne s’agit pas d’en dire ou de montrer trop. Il s’agit avant tout d’une plaisanterie, même si elle pique un peu une industrie qui fonctionne avec des œillères sur les yeux. Le message reste abordé en surface, les péripéties rebondissent trop vite, il n’y a guère de temps pour souffler tout au long d’un album unique qui se lit trop rapidement. Mais l’humour est gras, vulgaire et féroce, et le doigt du milieu bien levé.