Ce tome fait suite à Requiem - Tome 07: Le couvent des sœurs de sang (2007). Il faut avoir commencé par le premier tome pour comprendre l'intrigue et les actions des personnages. Ce tome-ci est initialement paru en 2008. Il a été écrit par Pat Mills et illustré par Olivier Ledroit. La réédition de 2021 comprend un supplément intitulé Les arcanes du Hellfire Club : 2 pages d'esquisses, recherches préparatoires, dessins inédits. Il contient également 3 pages du bestiaire de Résurrection présentant Dent-Bleue, Skalp Jack, les cavaliers fantômes, la Justice Fantôme, scalps, avec à chaque fois une illustration et un paragraphe de texte.


Dans l'un des immeubles cossus donnant sur Washington Square dans le quartier de Greenwich Village, à New York en 1919, se tient une réception donnée par Aleister Crowley, et Leah Hirsig, surnommée sa femme écarlate. Parmi les invités, se trouve Horatio Burton, éditeur de magazine. Il discute avec un autre homme qui désigne Crowley comme étant l'un des plus grands mystiques que le monde n'ait jamais connus. Burton est intimement convaincu qu'au contraire c'est un des plus grands charlatans, drogués et de débauchés. Ils s'approchent de leur hôte, et celui-ci leur propose de prendre un verre : ce n'est pas du vin rouge, mais du sang menstruel, celui du Singe de Toth. Burton et son ami déclinent et une discussion envenimée s'engage. Burton lui reproche que son pseudo-enseignement n'est qu'un prétexte à la débauche, dans lequel des femmes crédules, une atmosphère chargée d'encens et des poèmes psalmodiés sur une musique lancinante jouent un rôle opportun. Crowley ajoute que l'art aussi joue un rôle important en pointant un tableau du doigt. Leah Hirsig explique c'est elle qui est représentée en âme morte. Incrédule, Burton demande si c'est elle le singe. Crowley répond que bien sûr car les apanages de la femme sont ceux du singe et du perroquet. Cela ne le gêne pas : il est tout à fait approprié, d'avoir ses relations sexuelles avec un animal incapable d'abstractions.


Sur Nécropolis, le baron Black Sabbat contemple la ville qui s'étend à ses pieds et constate l'avancée des zombies : la nouvelle plaie a débuté, c'est une infection démoniaque. Seuls les vampires sont immunisés contre ses effets. À ses côtés, Kurse lui suggère de regarder dans le télescope : Sabbat voit que le couvent des sœurs de sang est en flamme. Kurse est persuadé que c'est l'œuvre de Requiem qui allait y chercher Rebecca, ne sachant pas que celle-ci avait été enlevée par Otto von Todt. Sabbat se dit qu'il va présenter le Singe de Toth à von Todt pour que ce dernier se libère de son obsession pour Rebecca. Dans le donjon d'Otto von Todt, le combat fait rage entre son propriétaire et le spectre de Requiem. Ce dernier se sert des armes de collection présentes sur place, attisant la colère de son adversaire qui ne veut pas qu'elles soient abîmées. Rebecca reste en retrait dans un coin de la pièce.


Arrivé au huitième tome, le lecteur se souvient bien des nombreux personnages et se demande dans quelle direction les auteurs vont développer leur récit. Avec le tome précédent, les scènes d'introduction ont quitté la seconde guerre mondiale. Dans le tome 7, elle se déroulait en 1242 avec des chevaliers teutoniques, ici c'est en 1919, avec Aleister Crowley (1875-1947). Ce n'est pas forcément très original, mais l'intérêt de la scène ne réside pas dans ce personnage ayant réellement existé. Il réside dans sa compagne. Comme à leur habitude, les auteurs ne mégotent pas, ni sur la situation, ni sur les dessins. Le scénariste s'amuse bien avec la provocation et la transgression (boire du sang menstruel), et l'artiste est dans une forme éblouissante pour le spectacle. Ça commence avec le tableau de la Reine des Âmes qui figure en page d'ouverture, donnant à voir la personnalité intérieure de Leah Hirsig, bestiale et démoniaque. Ça continue avec la magnifique vue de l'artère de New York sous la neige, la séance de consécration de Leah, l'habit de soirée de Burton, et l'apparition bestiale de du Singe de Toth, toujours un croisement entre gorille et mandrill. Olivier Ledroit n'a rien changé à sa manière : intense, obsessionnelle, investi dans chaque millimètre carré de chaque page sans exception.


Le lecteur en prend plein les mirettes tout du long, avec une densité d'informations visuelles dix fois supérieure à ce dont il a l'habitude. Cela peut en rebuter certains qui peuvent se sentir agressés par une forme de surcharge cognitive, voire éprouver une sensation d'écœurement (indépendamment même de ce qui est représenté), mais ça en dit aussi long sur l'implication de l'artiste. Le rythme de lecture s'en trouve ralenti, mais le rythme de la narration n'est pas lent tellement chaque page regorge d'éléments. Avec la scène introductive, le lecteur découvre une jeune femme svelte à la peau laiteuse, au bras d'un individu grand et élancé au regard vicieux et lubrique. Burton incarne le cinquantenaire aisé de la bonne société, l'indignation faite homme. Plus loin, il fait la connaissance du général Nathaniel Salem avec une pièce sur chaque œil. Il sait qu'il se souviendra sans peine de ces personnages si remarquables et tous uniques. D'ailleurs, il retrouve avec plaisir Black Sabbat avec le nombre 666 sur son front, dans une pleine page hallucinée : sa tête apparaissant en surimpression de la façade du bâtiment où il se tient sur un balcon. Il faut deux ou trois minutes pour qu'il puisse prendre conscience de tout ce que contient cette page : la tête de Sabbat avec ses dents taillées en pointe, la case en forme de croix, les caractères calligraphiés en surimpression, tous les détails de l'architecture de la façade, la créature en base de page, les skieurs démoniaques sur les flots de lave, etc.


Les autres personnages déjà croisés dans les tomes précédents apparaissent en dévoilant d'autres facettes, une apparence un peu différente : Requiem sous forme de spectre, puis en tant que combattant, en tant que séducteur particulière sadique mais aussi prêt à souffrir de manière masochiste. Otto von Todt est difficilement reconnaissable avec sa chair brûlée au troisième degré, pourtant toujours en train de combattre. L'archi-hyérophante est toujours aussi majestueux. Rebecca est d'une pureté insoutenable avec sa peau d'albâtre et ses yeux vert émeraude. Igor génère tout de suite un sourire chez le lecteur avec ses manières craintives et manipulatrices. Même les personnages secondaires apparaissant brièvement laissent une impression durable : impossible d'oublier les trois prostituées dans le lit de Sabre Erectica, se plaignant que sa baguette magique ne fonctionne quand il est victime d'un dysfonctionnement érectile. Comme le lecteur est en droit de s'y attendre, ces personnages évoluent dans des environnements dantesques. Une fois passée la scène d'introduction dans un hôtel particulier de Greenwich Village, la démesure de Necropolis éclate au visage : les bâtiments gothiques, les arches du donjon d'Otto, les tours en flamme du couvent, le château de sang en forme d'arc de triomphe avec son intérieur aménagé en laboratoire de savant fou, la vue générale du pont Vlad sur lequel s'avance l'armée de zombies avec les forces de l'ordre les attendant de pied ferme, la taverne avec son immense puits de lumière et ses lanternes à fée phosphorescente, etc.


Il est possible qu'il faille deux lectures (ou plus) pour pouvoir tout assimiler, pour remarquer les petits détails. Si l'ambiance est macabre et gore, cela n'empêche pas quelques touches plus légères, avec un humour noir. Difficile de ne pas sourire en voyant s'avancer un zombie avec un casquette et une chaîne en or de rappeur, en découvrant monsieur Vermicelli, l'assistant du docteur Dippel, qui crache des vers, le nom de la créature de Dippel (Frank-Einstein) la démesure de la guerre des robots aux formes inattendues, la moue déconfite de Sabre incapable de réveiller sa virilité, les efforts de Thurim pour reconnecter ses bras à son torse, la déception de Leah au manque d'ardeur de Thurim. Scénariste et artiste sont bien en phase pour intégrer deux ou trois clins d'œil : l'assistant du docteur Dipper qui est le sosie de Riff Raff du film The Rocky Horror Picture Show, la moto de Leah qui identique à celle de Ghost Rider (Johnny Blaze), ou encore une réplique tirée du film Il était une fois dans l'ouest (1969) de Sergio Leone (1929-1989). Enfin, les scènes dantesques sont bien au rendez-vous, comblant l'horizon d'attente du lecteur : le combat de 6 pages entre Requiem et Otto von Todt, le déchainement de la Reine des Âmes Mortes, l'attaque des zombies, et bien plus encore, dans des tableaux d'une vivacité saisissante. Pour un peu, le lecteur pourrait en oublier de s'intéresser à l'histoire.


Comme à son habitude, Pat Mills raconte à sa manière n'ayant que faire de conseils standardisés en écriture. En premier lieu, l'affrontement physique entre Requiem et Otto von Todt s'étire, avec une utilisation d'armes très particulières. Leur utilisation reprend quand Rebecca doit se défendre contre le même assaillant. D'un côté, ça fait partie de ce qu'attend le lecteur : des affrontements spectaculaires et frontaux. De l'autre côté pourquoi y consacrer tant de pages ? En prenant la question dans l'autre sens, le lecteur se dit que c'est l'intention de l'auteur, un choix délibéré. Cette énumération d'armes de collection à quelque chose d'obscène : un marteau de guerre italien du seizième siècle, la rapière trident (offerte à l'électeur Christian premier de Saxe par le duc de Mantua en 1587), un bouclier médiéval avec épée incorporée gantelet et briseurs de lames, l'aspersoir d'eau bénite à canons multiples (arme ayant appartenue au Pape Clément VII), une arbalète avec pistolet à rouet intégré, la mitrailleuse à piano. Or le lecteur peut faire confiance à Pat Mills pour n'avoir intégré que des armes ayant existé. Du coup, ce passage tient autant de la farce macabre pour un affrontement grotesque, que du constat de l'énergie déployée par la race humaine pour inventer des machines servant à se détruire, à s'exterminer. Du coup, les exagérations grotesques du monde de Résurrection semblent un peu fade comparées à la réalité historique.


Le lecteur comprend bien que les pages consacrées à l'exercice de remise en forme de Leah Hirsig (exterminer des créatures agressives) visent à montrer que la cruauté et la violence n'est pas l'apanage des mâles de l'espèce humaine. Vient ensuite, ce retour sur une phase de l'humanité : une guerre entre robots. Bien sûr, le lecteur peut y voir un clin d'œil à la série A.B.C. Warriors de Mills publiée dans 2000 AD. Il peut aussi y voir un nouveau commentaire sur les outils fabriqués par les humains, leur destination d'usage, et la perpétuation des engins de mort, même après la fin de la race humaine. La création du général Nathaniel Salem semble une nouvelle outrance de mauvais goût, juste une excuse pour quelques scènes de sexe, avec une dimension malsaine de voyeurisme. En plus le scénariste construit une séquence au déroulé en ellipse, générant un moment de confusion chez le lecteur quant à la chronologie des déplacements de Salem. D'un autre côté, quand il repense à l'énergie dépensée pour s'auto-détruire, au niveau de perversion que cela représente, le lecteur ne peut que se rendre à l'évidence : l'être humain est capable de dépenser la même énergie dans les perversions sexuelles. Dans le monde dépravé de Résurrection, au système de valeurs inversé, il est tout naturel que la soif de domination s'exprime également par les relations sexuelles, et que toutes les déviances imaginables y existent. Le scénariste met en scène une autre forme d'agressivité, de façon de se détruire.


Les deux créateurs laissent s'exprimer toute la démesure de leur imagination macabre, dans un récit de violence et de sang, d'une générosité pouvant faire reculer le lecteur timide. Ce nouveau tome fait un peu progresser l'intrigue générale, tout en développant de nombreux fils narratifs secondaires, dans une richesse telle qu'il peut sembler se disperser. Il faut donc l'envisager comme un chapitre dans une histoire au long cours. Dans un premier temps, le lecteur est trop heureux de pouvoir retrouver la profusion graphique d'Olivier Ledroit, sa capacité à créer et à animer des personnages aussi cruels et uniques, à décrire des environnements infernaux avec une cohérence visuelle extraordinaire, à mettre en scène des situations hallucinantes, tout en en conservant leur lisibilité. Il reçoit le choc des pages, prend le temps d'examiner chaque détail qui vient encore donner plus de consistance à ce récit et cet univers hors norme. De temps à autre, il se rappelle que la narration de Pat Mills ne manque pas de mordant et de tranchant, à la fois dans des remarques acerbes sur le comportement de la race humaine, à la fois dans des situations délirantes, faisant totalement sens dans le contexte de cette série. Ces deux créateurs ont réussi le pari de créer un enfer totalement baroque, outré et premier degré, à lui donner une consistance extraordinaire, prenant le lecteur à la gorge, et à en faire le support d'une intrigue ambitieuse, et de réflexions sans concession sur le genre humain.

Presence
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le 14 juil. 2021

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