Ce tome fait suite au diptyque La barque de Râ &Cimetière céleste qu'il faut avoir lu avant. L'histoire s'achève dans La porte du ciel. Le présent tome est paru pour la première fois en 2015, sur la base d'une histoire imaginée conjointement par Valérie Mangin & Denis Bajram. Valérie Mangin a réalisé le scénario du récit, ainsi qu'écrit les dialogues. Jean-Michel Ponzio en a effectué le story-board, les dessins, l'encrage et les couleurs.


Au printemps 2019, l'équipage de la nef Horus-Râ est revenu sur Terre, mais il a laissé une porte ouverte dans le ciel, au-dessus du complexe scientifique des entreprises Fork en Californie. Malheureusement, les générateurs de tachyon de la nef ayant été endommagés, l'équipage ne peut pas envisager une nouvelle expédition à court terme, que ce soit pour explorer ce qui se trouve de l'autre côté de la porte du ciel, ou pour essayer de la refermer. Pendant ce temps-là, les morts continuent de revenir à la vie, car l'expédition Horus-Râ a déréglé le processus de mort. De nombreuses personnes sont heureuses de pouvoir retrouver leurs chers disparus. Néanmoins ce phénomène provoque de nombreuses autres réactions.


Le père Georges Theillard commente le phénomène au cours d'une émission de télévision, et il n'y voit ni plus ni moins que la résurrection de la chair mentionnée dans le credo de la foi catholique, c’est-à-dire l'état définitif de l'homme lorsque son corps mortel reprend vie à la fin des temps. Certains groupuscules sont convaincus que cette résurrection de la chair est également annonciatrice de l'apparition de l'antéchrist, et ils estiment que le premier ressuscité est cet antéchrist, à savoir Matthew Fork. Afin de pouvoir mener à bien le projet Échelle de Jacob (réussir à regagner la Porte du ciel), une équipe est envoyée au Caire en Égypte, pour récupérer la barque de Râ qui avait provoqué la mort d'un des gardiens du musée. Le retour à la vie des morts a pour conséquence qu'ils sont devenus immortels, mais aussi que la population de la Terre augmente à une vitesse incontrôlable, avec des problèmes de logement et de nourriture. Un journaliste a observé qu'il faut diviser par 150 le nombre de jours écoulés depuis le décès d'un individu pour déterminer celui qui sépare le retour à la vie effectif de celui du début de la résurrection générale, ce qui fait deux jours et quelques heures par année de mort.


Le voyage des thanatonautes dans le premier diptyque avait eu comme effet non prévu de conquérir le dernier territoire inaccessible à l'humanité : la mort. Enfin pas tout à fait : l'exploration de la nef Horus-Râ n'a pas permis d'explorer l'au-delà, mais son dysfonctionnement a annulé le phénomène de mort. Ce n'est pas simplement que les individus ne meurent plus, c'est aussi que les morts reviennent à la vie. Valérie Mangin & Denis Bajram poursuivent leur récit de genre dans la même direction : jouer avec le phénomène qu'est la mort. À nouveau leur objectif n'est pas de disserter sur la nature de la mort, sur les implications philosophiques d'une vie dont le terme est une certitude, ni même de faire ressortir les caractéristiques ou les enjeux d'une vie, par comparaison avec ce que pourrait être une vie infinie. Ils s'attachent d'abord à raconter une histoire, puis ensuite à explorer les possibilités d'un mécanisme ou d'un dérèglement du processus de mort.


Pour la narration de leur récit, les auteurs s'appuient sur une partie des personnages présents dans les 2 tomes précédents. Le lecteur suit lors de plusieurs séquences les interventions et les réflexions de Matthew Fork, en compagnie du père Georges Theillard. En leur compagnie, il est exposé à la possibilité de l'existence d'un antéchrist, et à la règle de retour, établissant le ratio entre le temps écoulé entre le décès, et le temps pour revenir à a vie. Le père Theillard défend bien sûr le dogme de l'église catholique et identifie ces retours à la vie comme le temps de la Résurrection de la Chair (terme utilisé dans le Credo catholique dans sa version appelée Symbole des Apôtres, temps de la Parousie), mais les auteurs ne développent pas la théologie associée. Matthew Fork n'endosse pas le rôle qu'on essaye de lui attribuer et reste très terre à terre dans une position athée. Il reste également pragmatique et télécharge l'appli appelée iwillbeback qui permet de savoir dans combien de temps ressuscitera un mort, en fonction de sa date de décès. Comme dans les premiers tomes, Jean-Michel Ponzio réalise des dessins descriptifs de nature quasi photoréaliste. Tous les personnages disposent d'un visage particulier, d'une tenue vestimentaire (ou plusieurs) en cohérence avec leur personnalité et leur statut social. Leur langage corporel est naturaliste, sans exagération dramatique ou romantique. Du coup, le père Theillard et Matt Fork apparaissent comme des individus normaux, essayant de répondre de leur mieux aux questions des journalistes, s'intéressant au phénomène de résurrection avec une approche banale, sans expertise particulière.


Le récit montre également les démarches qu'ont entreprises la scientifique Elois et le pilote Buzz. Dans un premier temps, Elois (accompagnée par Buzz) essaye de récupérer ses affaires personnelles chez elle, mais son appartement a été réquisitionné pour faire face à l'explosion de la demande avec tous ces ressuscités à loger. Puis, toujours accompagnée par Buzz, elle va voir sa mère, et retrouver son père qui a ressuscité. Enfin elle se rend dans la bibliothèque qui a archivé les documents de travail de son arrière grand-oncle pour essayer de faire progresser le projet Échelle de Jacob qui permettrait d'accéder à a Porte du Ciel, le phénomène au-dessus des établissements Fork. Le lecteur apprécie la qualité de la représentation d'Elois et de Buzz, à nouveau de type quasi photographique. La dédicace en début de tome permet d'apprendre que l'artiste s'est servi de sa femme comme modèle. Au fur et à mesure des différents endroits visités, le lecteur apprécie également de pouvoir de se projeter dans chaque lieu, le dessinateur s'impliquant énormément pour les représenter. Il peut ainsi voir la façade du musée du Caire, les bâtiments autour de Big Ben, Liberty Island et sa célèbre statue, Central Park, la façade de la station de Saint Pancras, l'intérieur de la British Library de Londres, etc. Il s'agit le plus souvent de photographies qui ont été reprises par un logiciel d'infographie, avec une intégration parfaite dans les dessins. Le lecteur observe donc des personnages ressemblant à des êtres humains normaux évoluant dans des lieux concrets et souvent reconnaissables. L'effet de réalisme est encore accentué par des effets de texture si convaincants que le lecteur éprouve la sensation qu'il pourrait toucher le bois et en sentir le grain, ou toucher la pierre et en sentir la rugosité.


À la lecture, il se dégage parfois une impression un peu froide du fait de la description clinique des images, et un peu plate dans les explications données. Pourtant, ce troisième tome accomplit sa mission de récit de divertissement, avec ces résurrections. Les auteurs ne se contentent pas d'enfiler quelques évidences, comme la surpopulation, la joie des retrouvailles avec les êtres aimés. Ils se montrent un peu plus caustiques avec le fait que tous les ressuscités ne s'entendent pas entre eux, et que les pouvoirs publics ont bien du mal à gérer cette surpopulation de manière efficace. Comme dans les tomes précédents, ils n'insistent pas sur la dimension religieuse. Outre les 2 tandems évoqués, ils mettent aussi en scène la mission de récupération de la Barque de Râ, présentée en ouverture du premier tome, et ils poursuivent l'intrigue secondaire relative à l'arrière grand-oncle d'Elois, qui arrivait un peu comme un cheveu sur la soupe dans le tome 2. En constatant les effets du dysfonctionnement de la nef Horus-Râ, le lecteur comprend un peu mieux en quoi le voyage dans le temps peut être considéré comme une facette de ce phénomène. Il apprécie encore plus d'autres effets de ces résurrections. Les auteurs n'arrivent pas à donner une vision globale du phénomène, par exemple en consacrant une ou deux pages à des circonstances différentes de résurrection, ou au trafic à la sortie des cimetières. Par contre, ils mettent en scène un ou deux exemples où leur approche factuelle paye. Le premier exemple concerne les victimes des attentats du 11 septembre 2001, dans les tours jumelles. L'absence même de dramatisation visuelle donne plus de force à l'énormité de ces retours, ainsi qu'à la charge émotionnelle qui y est attachée. Le deuxième exemple concerne le retour à la vie de criminels auxquels il n'est pas possible de pardonner, et aux châtiments qu'il faut imaginer pour continuer à leur faire payer leurs crimes.


Le lecteur est bien volontiers revenu pour connaître la suite de ce dérèglement du processus de mort des individus. Il apprécie toujours autant le haut degré d'immersion généré par des dessins très descriptifs, tout en restant très lisibles, par la combinaison de lieux reconnaissables et de personnages ordinaires, et des événements sortant de l'ordinaire. Il reste un peu plus interrogatif sur l'intrigue en elle-même, les auteurs se focalisant surtout la description des conséquences des résurrections par l'exemple, mais sans développer les conséquences émotionnelles pour les proches, sans décrire la situation globale, sans s'aventurer dans la dimension philosophique.

Presence
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le 22 mars 2019

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