Elle nous a quittés l'an dernier, en 2024, à l'âge plus que canonique de 100 ans.

J'ignorais tout d'elle, jusqu'à ce que l'Huma y consacre une longue nécro. Communiste, résistante, puis reporter de guerre, Madeleine Riffaud est le genre de personnage dont on se dit qu'elle a tout d'une héroïne d'épopée tant sa vie fut riche et sa carrure propre à ces figures hors normes.

« On pourrait en faire un film », m'étais-je dit alors.

Mais c'est donc à une BD que Riffaud a finalement eu droit.


« Une BD ?! Mais c'est pour les mômes ça ! ».

Ces mots ne sont pas les miens, mais ceux de Madeleine Riffaud herself lorsque Jean-David Morvan, scénariste de cette future Rose dégoupillée, prend contact avec l'intéressée. Et l'air de rien, je la trouve intéressante cette remarque de prime abord. Pourquoi la BD ? Pourquoi ce format en particulier ?

Il ne m'a suffi de quelques pages pour obtenir quelques solides arguments.


Déjà, la BD, c'est l'occasion de partis pris esthétiques qu'on ne pourrait pas se permettre ailleurs. Cette seule double-page d'introduction, elle se pose quand même en termes de proposition. La Seconde guerre mondiale, on l'a déjà vue sous toutes ses coutures, et la voir comme ça, dépeinte toute en nuance de bleu, ça a le mérite déjà d'instaurer un regard neuf.

Alors certes, c'est vrai que, parfois, j'ai trouvé que le parti pris de Dominique Bertail pouvait se retourner contre la narration. Certains moments sont de vraies expressions de pulsion de vie et je trouve dommage que les teintes blafardes de cet ouvrage en éteignent la passion. Mais d'un autre côté, je dois bien reconnaître que tout a été habilement conduit pour tirer le meilleur de cette dominance bleue.

D'abord il y a ces séquences particulièrement adaptées à ce choix esthétique comme cette convalescence dans les Chartreuses enneigées ou cette agression de nuit en pleine Gare d'Amiens. Et puis ensuite il y a cette tonalité générale qui répond finalement très bien à cette atmosphère chromatique. Madeleine, ce n'est pas une rigolarde. En même temps, sa vie est faite de contrastes permanents : l'enfance au milieu des gamins pulvérisés, la découverte de l'amour au milieu de la maladie, l'attachement après la disparition des êtres aimés...

Il y a un aspect rude et rustre qui colle bien à cette esthétique, ce qui fait qu'on finit par s'y faire.

Mieux que ça, cette atmosphère blafarde, on finit par s'y accoutumer. On finit par la faire sienne.


Et si je dis bien « on finit » c'est bien parce qu'elle mérite un petit temps d'infusion cette BD.

Il faut dire que le biopic n'est pas ma tasse de thé, surtout quand il est traité ainsi, chronologiquement. La parole de Madeleine, en tant que témoin et co-auteure, se mêle souvent aux paroles de Madeleine le personnage. Ça ne fait pas de cette Rose dégoupillée une œuvre verbeuse pour autant mais, dans un premier temps, il y a un petit côté simplement descriptif et illustratif qui peine à produire du relief.

Heureusement, le relief vient à force d'infusion. Il est aussi apporté par ce verbe chirurgical de Madeleine l'auteure. C'est froid mais en même temps ça dit la chose sans fioriture. Et pour le coup je trouve que Jean-David Morvan – dont je redoutais l'écriture eu égard de mon expérience avec la saga Sillage – a su adapter la trame à ce verbe dru et cru.

Ça va finalement assez rapidement à l'essentiel. Ça ne surligne pas trop. Ça sait avancer tout en sachant regarder dans le rétroviseur. On n'oublie pas de rappeler qui la guerre fauchera sa part, à un moment ou un autre. Ça rajoute une chape mais sans qu'on s'y étouffe pour autant, et ça, c'est peut-être justement grâce au format BD.


Parce qu'au bout du compte, c'est sûrement ça qui m'aura le plus parlé dans ce premier tome de Madeleine, résistante.

D'un côté ça n'a pas la force réaliste de l'image filmée, mais de l'autre ça parvient à aller chercher une vérité que n'aurait pas su reproduire une adaptation cinématographique. Ici on n'a pas affaire à une actrice prêtant son visage au personnage de Madeleine. Non, ce visage, c'est un petit peu celui de la vraie Madeleine, sans l'être pour autant. Et ce village du Santerre, ce n'est pas un décor random choisi pour faire illusion, c'est bien le village de naissance de Madeleine Riffaud. Et là encore, sur cette autre page, c'est bien la Gare de Lyon de l'époque qui y est reproduite, ou encore ici les berges de Seine des années 30. La BD parvient à trouver une véracité que n'aurait su apporter la pellicule et ça, je trouve que c'est particulièrement bien joué.


Alors autant vous dire que j'ai été particulièrement séduit par le fait qu'on me dégoupille une telle rose entre les mains. Et je pense que je ne surprendrai personne si je vous dis que j'ai hâte de voir ce vers quoi cette formule va me conduire lors des second et troisième tomes...

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le 23 janv. 2025

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