Un OVNI narratif et graphique tombé en panne...
On reste saisi devant le travail qu'a demandé cet OVNI de la bande dessinée, qui se limite pourtant assez sagement à 48 planches. Lidwine a inventé tout un univers, d'une richesse et d'une complexité étonnantes, entre les Antiquités barbares immémoriales et le monde relativement plus familier de la fantasy médiévale.
Je n'ai jamais lu une bande dessinée aussi lentement. Chaque image, chaque texte (souvent rédigé en un langage soutenu) expose quelque nouvel aspect de cet univers, avec force noms propres inédits (qu'il faut identifier), recours à des concepts exotiques (qu'il faut prendre le temps de comprendre), et parfois un langage courant d'aspect médiéval, en réalité complètement recréé, et sollicitant un effort d'interprétation de la part du lecteur.
L'un des prodiges de cette œuvre est la richesse et l'originalité de la mythologie qui fonde les actes et paroles des protagonistes. Sa complexité rend assez vaine toute tentative de mise en cohérence. D'abord, nous sommes au temps où les humains et les animaux ne sont pas bien distincts. Le personnage le plus récurrent du récit a donné son nom à l'album : c'est un loup (immortel ? On a l'air de se réincarner assez aisément dans cet univers.), du nom de Furvan. Oz serait une sorte de Dieu suprême, qui, avec d'autres dieux, aurait décoché une flèche maléfique, l'éphébir, qui a blessé la Terre. Depuis cette « punition », la Terre souffre.
La scène d'ouverture met en scène un autre peuple que celui des loups, les Multins, anthropoïdes à tête animale plus ou moins féline et poilue. Lors d'une spectaculaire incantation, les Multins appellent à la guérison de la Terre. Précisément, le loup Furvan surgit et réussit à s'emparer d'un morceau de l'éphébir, et s'enfuit grâce à l'intervention de l'unique femelle louve, Gallia, qui paralyse par magie une redoutable créature unicorne, Taal Luro. Gallia meurt dans l'aventure, et Elvon, compagnon de Furvan, que l'on croyait être un loup, a une tête d'homme normal.
La règle doit être que, chaque fois que l'on meurt chez les loups, on se réincarne sous forme humaine. C'est ce qui a dû arriver à Elvon, puis à Gallia. De ce fait, la race des vrais loups disparaît, et Furvan doit être le dernier de sa race.
Les Messas Othos, chefs-prêtres des Multins, pas contents qu'on leur ait pris l'éphébir, lancent aux trousses des Loups d'Oz leurs troupes, mais une fille sexy (qui est qualifiée de « Doudhine » - donc, pas de « Multine ») et l'unicorne Taal partent également en quête de l'éphébir.
Le décor change pour se rapprocher de la medieval-fantasy. Dans un village maritime, un barde quelque peu comique, Suffio, chante une ballade dans une taverne, mais la fête est interrompue par l'irruption des sinistres Tryphiles à tête de dragon.
Elvon et Furvan parviennent à ressusciter Gallia sous une forme humaine.
Par ailleurs, un conflit s'annonce entre Démiargone, roi antipathique du pays terrestre des Carnes, et Mahnès, roi d'une cité maritime qui adore Thoa, le dieu-poisson. Elvira, farouche guerrière épouse de Démiargone, vient proposer une alliance à Mahnès contre son époux. Objectif : s'emparer la place stratégique d'Anthégor...
Inutile d'aller plus loin. Les dessins sont d'un soin irréprochable dans tous leurs détails, qu'il s'agisse d'animaux (superbes têtes de loup), de végétaux, d'architectures, de paysages, d'humains, de monstres. Ces deniers sont le fruit d'une belle imagination : les Multins, entre loup-garous, écureuils et léopards, sont parfois très humains et sexys, des chameaux-kangourous ailés à cornes de gazelles (planche 11), les Tryphiles aux têtes écailleuses bleutées (planche 21), le Burong, dragon aquatique susceptible planche 40, le gigantesque hexapède arthropode à élytres et à queue zébrée de la planche 41...
Des images superbes d'intensité et de séduction plastique : le joueur nu de tambour en transe planche 5, les scènes d'action et de cataclysme planches 7 à 11, la résurrection de Gallia planche 24, l'invocation à Thoa sur fond d'architectures à coupoles écailleuses planche 28... Finesse des détails vestimentaires, des bijoux... Grandes recherches de mise en pages, variété du nombre et de la dimension des vignettes.
Une bizarrerie : l'introduction, planches 19-21, d'un beau gosse sympa, Hyrdhar le Béthonien, qui pourrait très bien être l'aventurier-vedette, mais qui meurt tout de suite, alors que la seule note « off » de tout l'album stipule (planche 20) : « lire les aventures de « Hyrdhar le Béthonien », comme si ces aventures existaient vraiment. Très très étrange.
Avec un tel « prologue », l'action à développer devrait aisément s'étendre sur dix à quinze volumes. Le problème, c'est que rien n'a suivi. Ce « prologue » est seul à exister depuis 1994. Trop de densité, trop d'ambition, trop de soin. Un chef-d'œuvre potentiel, à force de réflexion et de rigueur, s'est effondré sous son propre poids. Dans l'œuf. Irréalisable.