À Saint-Elme, la vache brûlée correspond à une légende. L’imprévu, c’est que, lors d’une petite fête nocturne en lien avec cette légende, par accident une vache se met effectivement à brûler. Cet incident ne fait que renforcer une ambiance franchement sombre où plusieurs groupes de personnages défendent des intérêts incompatibles.


On suit d’abord une bande de malfrats qui semblent bien organisés. Apparence trompeuse, car un grain de sable va mettre le feu aux poudres et changer complètement la donne entre les membres de ce groupe. Parmi les survivants, l’un va se retrouver complètement coincé et un autre en fuite et dans un piteux état. Dans le même temps ou à peu près, un flic nommé Franck Sangaré débarque à Saint-Elme. À sa descente de bateau, il est accueilli par madame Dombre, une collègue avec qui il va travailler bien que cela ne l’enchante pas, surtout qu’elle se trimballe toujours avec un animal genre furet (nommé Bruce) dont il garde un mauvais souvenir. Disons que tant qu’elle ne lui fait pas d’ombre, ça peut aller. Ce duo va enquêter à propos de la disparition d’un jeune homme nommé Arno Cavaliéri que Franck Sangaré considère comme un simple fugueur qu’il devrait aisément pouvoir retrouver seul. Nous avons aussi les deux héritiers de l’empire Saint-Elme (son eau de source), dirigé d’une main de fer par leur père, une forte personnalité. Notons au passage le savoureux sous-entendu autour du nom de la ville. Les feux Saint-Elme étant des manifestations physiques surprenantes que les superstitieux ont longtemps considérées comme de la sorcellerie. Conclusion, heureusement, ici nous avons de l’eau pour les éteindre. L’enquête commence et nous mène dans la boîte de nuit locale « Le mirage » où quelques planches nous font sentir l’atmosphère bruyante, colorée et agitée. Un endroit où tout peut se passer.


Les couleurs


Premier point frappant dans ce premier épisode, des couleurs très sombres (et criardes) qui donnent à voir et à imaginer des images cauchemardesques. De toute façon, l’univers décrit ici est très noir, avec des malfrats sans états d’âmes et dont la violence éclate à la première alerte. D’un autre côté, le duo de flics met les pieds dans un univers dominé par la noirceur nocturne.


Un duo au point


Après L’homme gribouillé (2018), le duo constitué de Serge Lehman (scénariste) et Frédérik Peeters (dessin) poursuit sa collaboration (à vrai dire, les rôles n’étant pas spécifiés, on imagine que leur méthode de travail est aussi personnelle que ce qu’elle leur permet de nous proposer ici), avec plein d’envies et d’idées qui crèvent les yeux. Si l’usage des couleurs marque par ses choix provocateurs (histoire de faire un pied de nez au réalisme), s’arrêter à cela serait bien réducteur. On remarque en particulier que les auteurs s’attachent à faire sentir une ambiance spéciale en accumulant des détails et des situations qui pourraient être considérés comme des à-côté presque superflus par rapport au scénario proprement dit, mais qui contribuent chacun à établir un ressenti très particulier. Ces détails permettent de donner de la consistance aux personnages par leurs réflexions. De même, l’originalité des situations apporte quelque chose de vraiment personnel et qui rappelle énormément les films noirs de la grande époque hollywoodienne. Nous avons donc un lien évident avec le cinéma dans la façon de penser cet album qui, rassurons-nous, répond à tous les critères d’une (bonne) BD. Ainsi chaque séquence donne l’impression d’une séquence filmée et c’est dû aussi bien aux dialogues qu’aux images. Cela veut dire que l’association Lehman/Peeters fonctionne vraiment bien. Ils parviennent à une sorte d’alchimie due à une excellente compréhension des possibilités du medium BD et évidemment à une réelle connivence.


Pourquoi toutes ces grenouilles ?


J’arrive donc à la conclusion que le choix des couleurs n’est pas un caprice destiné à en mettre plein la vue pour sortir du lot. De toute façon, les auteurs n’ont pas besoin de cela pour éveiller l’intérêt, puisque leur réputation est faite. Ces couleurs pourraient retenir toute l’attention pour masquer par exemple un scénario sans grand intérêt. Il n’en est rien, puisque les couleurs vont par moments jusqu’à produire une sensation de gêne, en particulier dans les atmosphères sombres. De plus, le dessin de Frédérik Peeters est bien reconnaissable. S’il n’est pas le plus élégant styliste de la BD d’aujourd’hui, il connaît bien son métier et fait en sorte de donner la sensation de mouvement quand il le faut. Sa mise en scène est irréprochable, avec un choix de formes, tailles et organisation des vignettes parfaitement maîtrisé. Rien à dire non plus pour tout ce qui est visages, expressions, silhouettes et attitudes. La seule petite déception qui empêche pour l’instant de crier au chef d’œuvre, c’est que le scénario se contente de s’articuler autour des agissements d’une bande de malfrats et d’une enquête. Dans ce premier volet, les à-côtés ouverts par le scénario sont plus marquants que le scénario lui-même. Mais, il serait étonnant que la suite déçoive. Ainsi, on enregistre dès le début et dans plusieurs scènes, la prolifération des grenouilles. On imagine qu’elles peuvent jouer un rôle plus déterminant par la suite.


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Electron
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le 25 mars 2022

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