Ce tome est le premier d'une nouvelle série indépendante de toute autre, et peut se lire comme une première saison. Il comprend les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2019, coécrits par David Hine et Brian Haberlin, dessinés et encrés par Haberlin, et mis en couleurs par Geirrod van Dyke. Hine & Haberlin ont déjà collaboré sur deux autres titres : Spawn Neo Noir, The Marked.
L'histoire se déroule sur une planète extraterrestre où 2 races d'êtres humains ont chacun établi une colonie : les Rans la nomment Perdita, les Tayans la nomment Vianna. Cette planète est habitée par une faune assez agressive, ainsi que par les autochtones humanoïdes les Lumani, et par des humanoïdes géants appelés les Géants Endormis. Sonata appartient au peuple des Ran, une civilisation cherchant à établir des relations pacifiques, mais sachant se défendre. Elle chevauche régulièrement un Thermasaur, un animal volant indigène à Perdita. Ce jour-là, elle part en mission pour aller accueillir de nouveaux immigrants de Ran, malgré la tempête sur le point de se déchaîner et malgré l'interdiction de son père Braman. Avec son thermasaur, elle parvient à temps au pied du petit vaisseau spatial et elle éloigne les Skabous, des animaux agressifs qui allaient s'en prendre à deux des voyageurs. Un peu plus loin un géant endormi s'est réveillé, mais il modifie sa route et s'éloigne de la ville des Rans. Après la tempête, un ballon dirigeable est venu chercher les immigrants de Ran et les amène à la ville New Salomar. Sonata ramène son thermasaur à son aire. Sur place, elle est accueillie par Treen, un Lumani, qui lui indique qu'elle est attendue par son père et par Mekhon, le compagnon de Treen.
Treen et Sonata se rendent dans le bureau de Braman. Ce dernier leur apprend que Mekhon lui a indiqué où se trouve la colonie des Tayans et que ce sont eux qui détourné le cours de la rivière Petros, ce qui explique qu'elle s'est tarie au niveau de leur propre colonie. Matari, la matriarche des Rans envoie une délégation à la colonie des Tayans pour négocier. Ils sont froidement accueillis par Kantor, le chef des Tayans, une civilisation belliqueuse. Est également présent Pau, le fils de Kantor. La négociation ne se déroule pas bien et la délégation des Rans repart sans rien avoir obtenu. La matriarche Matari décide d'autoriser une opération commando chargée de saboter le barrage, sans le détruire partiellement, pour que l'eau recommence à irriguer leur colonie. Le sabotage ne se déroule pas comme prévu et le barrage cède d'un coup.
Une histoire de science-fiction sur une planète lointaine, avec deux colonies de races humaines qui ne s'entendent pas du fait des différences morales de leur civilisation respective. Les coscénaristes rajoutent le mystère des géants endormis, mais aussi la race indigène des Lumali, ce qui permet au récit de sortir d'un dualisme basique entre Ran et Taya, et ils donnent une autre direction que le simple affrontement entre ces deux races. Dans un premier temps, le lecteur note surtout les conventions et les clichés : une colonie spatiale éloignée de sa planète d'origine, des créatures agressives, des indigènes aux motivations indéchiffrables et l'amour naissant entre une jeune femme Ran et un jeune Tayan. Ce n'est pas très original, mais ça reste quand même prometteur. Le récit commence par un prologue de 4 pages qui pose les bases : les Rans d'un côté, les Tayans de l'autre et 2 cultures différentes, avec la menace indéchiffrable des géants endormis. Le premier épisode commence pour de bon et il s'ouvre avec une page montrant l'entrée du vaisseau Ran dans l'atmosphère de la planète Perdita. Le lecteur apprécie la conception du vaisseau, les flammes qui apparaissent alors qu'il pénètre dans l'atmosphère, et le rendu infographique de la couche atmosphérique de type photo satellite. La première case (de la largeur de la page) de la deuxième page est une vue du ciel de l'aire de décollage du thermasaur, et là encore l'approche graphique donne l'impression d'une photographie. Sur la page suivante, le lecteur voit une chaîne de montagnes au loin, avec à nouveau cette impression de rendu photographique.
Il ne s'agit pas d'un effort particulier sur les premières pages. Brian Haberlin utilise les capacités de l'infographie pour donner à voir les différents environnements avec la précision d'un reportage. Il n'oublie pas pour autant de se montrer créatif, n'utilisant pas les modules infographiques pour pallier un manque d'idées, ou pour masquer un travail bâclé. Tout du long, le lecteur prend plaisir à détailler les particularités des environnements : la conception de la cité New Salomar pour s'intégrer dans le relief, la formation montagneuse où les Tayans ont construit la retenue d'eau, la cité souterraine rendue accessible par la faille ouverte par la chute d'eau après l'explosion du barrage, avec son statuaire et ses colonnes, la deuxième cité souterraine où trouvent refuge Treen, Pau et Sonata, ainsi que les appartements de Braman. Il regarde avec la même curiosité les différents appareils volants, et les armes des personnages, ainsi que leur tenue vestimentaire. Il est impressionné par la minutie avec laquelle Geirrod van Dyke utilise les fonctions infographiques pour ajouter des textures photographiques sur chaque élément. S'il ne regarde pas la liste des créateurs, le lecteur jurerait que la partie graphique est l'œuvre d'une seule et unique personne : dessins & couleurs, les 2 se complétant pour conserver une lisibilité fluide et immédiate indépendamment de la densité d'informations visuelles présente dans les cases.
Afin de conserver l'émotion dans les personnages, Brian Haberlin ne leur applique pas un traitement aussi photographique qu'aux décors et aux accessoires, variant le degré de précision de leur visage et de leurs mains en fonction de la nature de la séquence, de l'action qu'ils accomplissent. Il se montre tout aussi inventif et soigneux pour les créatures vivantes autres que les êtres humains. L'apparence des Lumali est très réussie : une morphologie massive pouvant évoquer celle d'un troll, quelques petites touffes de cheveux rebelles sur le haut de la tête, des dents pointues et acérés, une forme de peinture de guerre sur le visage, un harnais avec des anneaux entre dispositif pour contenir leur force et joug d'esclavage. Les géants endormis sont très impressionnants (quand ils se tiennent debout réveillés) : des différences significatives dans leur morphologie par rapport à un être humain et une texture évoquant la pierre, pour une apparence et un comportement totalement indéchiffrable et étranger à l'humanité. Les autres créatures de la faune sont tout aussi réussies dans leur morphologie et leur manière de se mouvoir. Cet investissement dans la conception visuelle de ce monde et de ses habitants s'accompagne d'une narration visuelle claire et facile à suivre.
Totalement conquis par la narration visuelle, le lecteur est prêt à se contenter d'une histoire bateau. Il note l'incompatibilité culturelle entre Rans et Tayans et s'attend à ce que les batailles entre les deux camps s'engagent, puis que le couple Sonata & Pau essaye de concilier les deux par l'exemple, ou par la tragédie tels Roméo & Juliette. Il ne s'attend donc pas à ce que les deux camps se mettent d'accord pour laisser de côté leur rivalité, afin de retrouver Sonata et Pau. Il est un peu moins surpris par le fait que les Lumani disposent de leur propre culture et donc de leur propre histoire, par contre il ne pouvait pas prévoir ce qu'ils dissimulaient. L'intrigue s'avère donc moins basique que prévue, sans atteindre la sophistication de la narration visuelle. Hine & Haberlin savent intégrer quelques éléments humoristiques : le caractère fantasque de Korbys qui donne l'impression de parler à une amie imaginaire (madame Maia) et à son animal de compagnie (monsieur Slinky) comme s'il pouvait comprendre quelque chose du fait de sa vie solitaire, coupé de la colonie depuis des années. Ils savent aussi se montrer facétieux quand Treen s'enquiert des rituels d'accouplement auprès de Pau qui vient d'embrasser Sonata. Ils intègrent un ou deux questionnements plus ambitieux. En lien direct avec le baiser, il y a la question du consentement qui permet à Sonata de bien affirmer son caractère. Lors d'une discussion, Sonata et Pau sont amené à exposer leur version de la création de leur race, racontant le mythe des origines. Celui-ci est façonné de manière à coller avec la philosophie de vie de chacune des 2 civilisations. Enfin, les Lumali semblent avoir une philosophie de vie plus en harmonie avec l'écosystème de la planète Perdita/Vianna. Mais ses principes se heurtent au principe de réalité et Treen doit choisir entre lesdits principes et l'intérêt commune pour son peuple. Il ne s’agit finalement pas d'un récit si basique que ça.
La magnifique couverture promet une aventure de science-fiction sur une planète extraterrestre avec une demoiselle pleine d'entrain chevauchant une créature exotique mi-oiseau, mi-dragon. Dès le début le lecteur est frappé par la remarquable consistance des environnements et des accessoires. Il s'agit d'un récit de science-fiction avec un budget illimité et des créateurs qui savent comment l'utiliser à bon escient pour créer un autre monde concret et détaillé. Le lecteur se projette tout entier dans cet ailleurs pour un dépaysement total. Il se rend compte que le récit est plus ambitieux qu'une simple aventure périlleuse à dos de piaf extraterrestre, ou qu'une simple opposition entre deux cultures.