Ce tome est le deuxième d'une intégrale en 4 tomes. Il comprend 11 chapitres du récit, écrits, dessinés et encrés par Osamu Tezuka (1928-1989). Les différents chapitres sont parus de 1972 à 1983, et le récit total comprend environ 2.700 pages, réparties en 4 tomes pour cette troisième édition en VF. Ce manga en noir & blanc raconte la vie de Siddhārtha Gautama (orthographié Siddharta dans le manga), le premier Bouddha, le chef spirituel d'une communauté qui a donné naissance au bouddhisme. Il commence par une carte de l'Inde et du Népal situant les principaux lieux du récit : Kapilavistu, Lumbini, Kosala, Kushinagar, Bodh Gaya, Magadha.
Siddhârta se réveille dans la forêt où il a dormi, adossé à un arbre. Il remarque que plusieurs animaux se sont rapprochés de lui et l'observe. Il va se laver le visage dans la rivière. Accompagné par des oiseaux, des faons, des lapins, des écureuils, une louve et son petit, il va contempler le paysage en contrebas de la hauteur où il se trouve, et il se déclare prêt à affronter les épreuves que le monde peut lui envoyer. Il arrive à une ferme où il est accueilli par le fermier à qui il explique qu'il veut se rendre au Magadha. L'homme le présente à son épouse et lui indique qu'ils ont recueilli un autre bonze. C'est ainsi que Siddhârta du Kapilavastu fait connaissance avec Dhépa du Kosala. Après un repas difficile à avaler, composé pour moitié de grains, et pour moitié de gravier, le fermier donne une tunique puante à Siddhârta. Puis les époux expliquent qu'ils ont trente-deux enfants et qu'ils souhaitent que les bonzes prennent en charge Asaji avec eux : un jeune garçon d'une dizaine d'années avec un gros sparadrap sur le front, chauve et la morve au nez. Ils prennent leurs jambes à leur cou et s'en vont en courant. Répondant à une question de son compagnon, Dhépa explique qu'il s'est brûlé lui-même son œil gauche.
La discussion continue chemin faisant : Dhépa explique pourquoi il s'est ainsi fait souffrir en développant le sens du mot Ascèse, ainsi que son objectif. Plus on maltraite son corps, et plus on purifie son cœur, plus les désirs s'éloignent. Il ajoute que la plus grande ascèse qui lui ait été donnée de voir, c'est de choisir de vivre comme un animal. Il parle de son maître Naradatta qui se déplace à quatre pattes, a renoncé à parler et est aveugle. Dhépa joint le geste à la parole en traversant un champ de ronces. À contre cœur, pour ne pas être semé, Siddhârta fait de même, souffrant de nombreuses entailles. Puis ils se baignent dans une rivière, et Dhépa l'entraîne au fond de la rivière pour lui apprendre à arrêter de respirer. Ils sortent de l'eau, mais y replonge aussitôt parce qu'ils ont aperçu Asaji cheminant sur la berge, toujours avec la goutte au nez. Ils arrivent enfin au pays de Vaji où demeure Baghawa, un ascète. Ils rencontrent un vieil homme qui leur indique que l'ascète est au milieu de la tour avec les oiseaux Ils y pénètrent et découvrent les os de Baghawa qui a été dépecé et dévoré par les vautours. Ils ressortent et le vieil homme les avertit qu'une troupe arrive à l'horizon : il s'agit de Tatta et de Miguéla et de leur troupe de brigands.
Il est déconseillé de commencer par le deuxième tome, car il s'agit d'une biographie chronologique de Siddhârta Gautama, le premier bouddha du nom, et de nombreux personnages sont déjà apparus, tissant des relations interpersonnelles. Dès la première page, le lecteur retrouve les idiosyncrasies visuelles d'Osamu Tezuka. Il a adopté une narration visuelle tout public, en particulier pour les personnages. Il les représente de manière simplifiée avec des contours arrondis, des membres parfois allongés, des pieds parfois sans les doigts de séparés. Ce choix permet au récit de ne pas tomber dans la facilité du gore, et d'éviter l'écueil de la titillation des poitrines féminines souvent dénudées par les tenues vestimentaires. Ce choix peut parfois décontenancer du fait de sa candeur, voire de sa naïveté, ou des expressions de visage très franches. Pour autant, les dessins ne sont pas toujours très plaisants à voir. Par exemple, la représentation d'Asaji est très premier degré : il a vraiment une goutte de morve qui pend de sa narine droite, ce qui est peu ragoûtant. Il est également difficile de prendre du recul en voyant le jeune Dévadatta (une dizaine d'années) attaché sur un cadre de bois pour être dévoré par les bêtes sauvage pendant la nuit, à nouveau parce que la représentation est premier degré, très factuelle. Il y a ainsi plusieurs passages dramatiques d'une intensité visuelle difficile à soutenir malgré les apparences gentilles des dessins.
Comme dans le tome 1, le lecteur est vite pris par la fluidité de la narration visuelle, son rythme plein d'entrain, son évidence. Il est tout autant pris par sa richesse, sa variété, sa diversité. Osamu Tezuka est un conteur extraordinaire, mettant à profit les nombreuses possibilités de la bande dessinée, avec un naturel confondant. Cases en trapèze, passages dépourvus de phylactères et de cartouche de texte, traits de vitesse (par exemple pour la trajectoire de flèches), séquences animalières, variation du nombre de cases (avec une page découpée en 28 cases, p. 249), dessin en pleine page ou en deux tiers de page consacré à un paysage naturel ou une construction humaine, cases de la largeur de la page, cases de la hauteur de la page, etc. Le lecteur se rend vite compte que ce tome se lit plus facilement que le premier, même s'il y a des nouveaux personnages, et bien sûr des situations différentes. Il se rend également vite compte que cette facilité de lecture ne rime pas avec un appauvrissement du récit. L'auteur continue à insérer des touches d'humour, souvent visuelles, avec des moments de pantomime pour la direction d'acteurs, qui peuvent surjouer, ou passer en mode burlesque, un sourire apparaissant tout naturellement sur le visage du lecteur. Certaines formes de comique se retrouvent également dans des dialogues décalés ou absurdes également réussis. Parmi les registres comiques, Tezuka continue à faire un usage maîtrisé des anachronismes : une référence au comportement des hommes loups qu'on voit au cinéma, un personnage (Mossa) qui utilise un fusil pour tirer sur un géant (Yatara), les brigands de la troupe de Tatta qui défilent réclamant des sous et protestant contre les licenciements, et quelques autres encore.
Comme dans le tome 1, les horreurs continuent de survenir et à chaque fois le lecteur compatit à la situation du personnage car Tezuka a l'art et la manière de les rendre vivants. Au fils des pages, le lecteur sent son cœur se serrer en assistant impuissant à des actes atroces : enfant maltraité, enfant tuant ses camarades de jeu à coup de pierre, une colonie d'abeilles exterminant une autre colonie d'abeilles, soldats tués net, transpercés par une volée de flèches, jeune femme couverte de pustules dues à la maladie, adolescent dévoré par les bêtes sauvages, épouse battue par son mari, etc. Le futur bouddha l'avait annoncé dans le premier tome. Pourquoi vivons-nous ? Pour souffrir. Cette accumulation de souffrances est rendue encore plus pénible par celles que les ascètes s'infligent de leur propre gré, elles aussi de terribles mortifications physiques pouvant mener jusqu'à la mort. Là encore les dessins relèvent d'une approche naïve, tout en transcrivant bien l'intention et les moyens des individus, montrant clairement ces pratiques. Ces différents éléments racontent donc le parcours de Siddhârta vers l'éveil, avec cette phase de pratique des austérités (les mortifications de l'ascèse) et ses rencontres avec d'autres êtres humains. Le lecteur retrouve donc certains personnages du premier tome : Dhépa, les 5 ascètes (Kondaniya, Baddiya, Bappa, Mahanama et Janussoni, en fait ils ne sont plus que 4), Naradatta, Tatta & Miguéla, le roi Suddhodana & la reine Maya, Prasenajit et son fils Virudhaka, etc. Non seulement il les reconnaît facilement grâce à leur apparence mémorable, mais en plus l'auteur sait s'y prendre pour effectuer un rappel discret et naturel pour les resituer. Il n'y a que pour Prasenajit et sa situation qu'il réalise 4 pages de résumé. Le lecteur fait la connaissance de nombreux autres personnages : Dévadatta, Gaguéra, Asaji (qui ressemble à l'Enfant aux 3 yeux, un autre manga de Tezuka), la princesse Visaka, le général Sukhanda, sa majesté Senya Bimbisara, la très mignonne Sujata, le colosse Yatara, et quelques autres encore, tous aussi mémorables que les précédents. Afin de pouvoir installer ces personnages, l'auteur est parfois amené à leur consacrer un chapitre de plusieurs dizaines de pages dans lequel Siddhârta n'apparaît pas, comme une forme de digression, mais indispensable pour comprendre ce qui se joue dans leur relation avec Siddhârta.
Dès la première séquence, l'auteur fait bien comprendre au lecteur qu'il s'agit de sa version ou de son interprétation de la vie du futur bouddha. Cela commence avec une scène quasiment empruntée à un dessin animé Disney, avec les animaux de la forêt gentiment assis en arc de cercle autour de Siddhârta en attendant qu'il se réveille. À plusieurs reprises, il y a ainsi une mise en scène de la relation harmonieuse à la nature entre cet humain et la vie sauvage. Dans le même temps, la narration repose sur une approche pragmatique et naturaliste, Osamu Tezuka prenant grand soin de rendre plausible tout ce qu'il raconte. Quand Siddhârta fait l'expérience mystique du lien qui unit toutes les formes vivantes, le lecteur peut le voir comme une forme d'illumination provoquée par les privations et par l'enjeu émotionnel énorme de la situation. Quand Mosa se trouve confronté à Yatara un géant de 7 mètres de haut, Tezuka fait en sorte de dessiner ce dernier avec un stature plutôt de 2,20 mètres ou 2,50 mètres ce qui reste extraordinaire mais possible. Il y a donc une volonté d'auteur de rester dans le domaine de la biographie d'un être humain, plutôt que dans l'hagiographie d'une figure mythologique. Si son intérêt dépasse la biographie (déjà très riche), le lecteur s'attache au parcours spirituel de Siddhârta Gautama. Il en observe les différentes étapes : le questionnement sur la souffrance physique et psychologique, la remise en cause des mortifications, l'illumination relative à la source unique de toute vie, la peur de la mort, les sources de la souffrance comme par exemple la maladie, la pauvreté, la discrimination. Il regarde alors les souffrances des autres personnages dont Siddhârta croise la route, pour en noter la cause, mais aussi pour observer la manière dont ils subliment ou non leur souffrance, dont ils la reportent sur autrui ou non, autant de chemins que Siddhârta a délaissé, ce qui leur rend unique par comparaison.
Ce deuxième tome s'avère encore plus réussi que le premier avec une narration visuelle et une composition de chapitres plus naturelles, plus faciles à suivre, et tout aussi denses. Osamu Tezuka réussit un extraordinaire numéro d'équilibriste entre drames accablants et comédie rehaussant les drames, sans nuire à leur sensibilité, racontant son interprétation de la vie de Siddhârta Gautama, de manière naturaliste, au lieu d'une version mythologique ou divine. Le lecteur occidental se doute bien que certains éléments doivent plus parler à des lecteurs japonais pour qui il s'agit de leur culture collective, mais cela ne gêne en rien, ni même ne devient manifeste. Il est entièrement pris dans ces drames humains, dans cette narration unique en son genre associant génie visuel et sensibilité hors pair, fasciné par le parcours du futur bouddha, à la fois par sa vie, à la fois par sa progression spirituelle.