Des romans japonais adaptés en mangas, y’en a eu. Des qui furent sympathiques, des qui furent grandioses, et même d’autres, tirés de la littérature européennes qui furent. Et on ne parlera pas des adaptations Lovecraft.
Je sais bien qu’on m’a recommandé ce manga-ci, non pas du fait de l’auteur du livre dont il est issu, mais de ce mangaka qui l’aura adapté. J’ai aimé The World is Mine d’un amour vicié et maladif, aussi, que je m’en retourne lécher les doigts plein de talent de son démiurge apparaissait inévitable. Il n’empêche, de cette œuvre-ci, Hideki Arai n’en trace que les contours graphiques. Sa sève, elle n’y sera que diluée d’une goutte dans la source créatrice ici mise en branle. Du reste, je ne me fais aucune illusion. Seulement, des auteurs d’un succès seulement, aussi retentissant fut ce dernier, ça existe et, ce bon monsieur Arai en a l’odeur. Je le sais pour avoir déjà été renifler du côté de ses autres ouvrages.
Ce sera une adaptation d’un volume seulement, mais d’un qui sera copieux. Pas loin de quatre-cents pages au compteur ; Arai aura adapté jusqu’au dernier alinéa.
Je savais que je ne retrouverais pas le Hideki Arai des belles années ; des années noires, car il se permet même de s’incarner dans sa propre œuvre en préambule pour nous faire savoir confusément ce qui l’a amené à écrire une telle œuvre. Il aurait évolué paraît-il, serait passé à autre chose. Je sais ce que ça signifie, par conséquent, je soupirerai préventivement avant de lire « La Vie Devant Toi ». Taichi Yamada, auteur de l’œuvre dont il se charge de l’adaptation, serait paraît-il son « maître en la matière ». C’est donc avec une partialité aveugle qu’il s’en vient nous compter ses hauts-faits.
Tous ses personnages principaux se ressemblent physiquement. C’est en tout cas criant dès la première case où le visage de Sosuke apparaît.
La mise en scène des planches est en tout cas excellente. Il y a une maîtrise dans l’exposition de la trame qui rend le tout plus crédible, plus humain et authentique ; des hésitations, des bassesses, des petits gestes qui ont bien plus à dire que leur seule évocation esquissée sur papier. Je dirais que c’est une sorte de courant naturaliste outrecuidant où le vrai et le véritable côtoient une outrance délibérée dans la manière dont ils sont exposés. Il y a en tout cas une minutie indéniable dans la manière dont l’auteur nous déballe son œuvre. Quant au scénario, cependant…
Ce serait paraît-il inspiré d’une histoire advenue durant l’ère Meiji, actualisée cette fois-ci dans un contexte contemporain. Un vieil homme acariâtre, mais ayant besoin d’un domestique, fait fuir chacun d’entre eux tant il est odieux. Sosuke est aide-soignant et va donc souscrire à ce contrat d’aide à domicile avec ce même type d’homme dans son fauteuil roulant…
Ouais, je sais. On aura beau détourner les yeux et faire semblant de pas voir… mais c’est le scénario d’Intouchable dans les grandes lignes, et on s’y sent bien vite emberlificoté à s’y vautrer trop vite. Toutefois – et Dieu merci – nous en sommes loin. À des années lumières bien au-dessus.
On se laisse absorber par ce récit où, sans fausse pudeur, misérabilisme ou quel qu’artifice qui soit, deux êtres humains véritables se côtoient. Il n’y a rien d’intimiste ou de pathétique. La Vie Devant Toi, ça n’est pas ceci ou cela : c’est. Voilà tout.
Mais il y a aussi beaucoup de contemplatif relativement chiant. De trop en tout cas pour que j’y fus réceptif. On croule parfois dessous, notamment lors de la visite à Kyoto. La réaction de Sosuke suite à cette visite est franchement épidermique et sans justification crédible. Et de là, un drame qui, s’il était latent depuis les premières planches, fait irruption sans trop qu’on s’y intéresse. Il n’est certainement pas aussi prenant que la relation qu’avaient les deux personnages ensemble. Qu’il ait « pété un plomb », au final, ça n’était qu’une occasion pour tourner le manga vers cette intrigue d’opérette faussement larmoyante. D’autant que le drame de l’un répond à celui de l’autre pour finalement ne pas faire véritablement bouger les murs.
La question de l’héritage sous condition était sympa. Il l’aurait été davantage si cette condition avait été déplaisante pour les deux personnages. Mais hélas, tout ça se sera joué dans une trame guillerette où tout le bien de ce monde concordait de concert. Le manga évolue vers une intrigue à la « Proposition Indécente ». Là, oui, le bousin vire intimiste même si on regarde passer l’intrigue d’un regard aussi circonspect que curieux. Curieux d’une curiosité mal avisée.
Et ce qui devait arriver arriva ; comme on s’en doutait dès les premières allusions, Sosuke a taquiné la grosse. Ces amourettes improbables ; macroniennes, même dans les termes, ça m’exaspère davantage que ça m’émeut. Libre à chacun de croire que l’amour compense tout, y compris vingt ans de différence d’âge.
Ça se finit sans prendre le luxe de conclure ni même de trop avoir assouvi une quelconque finalité à vrai dire. Si ce n’est quelques maîtrises dans la scénographie et des personnages entiers, de ce volume unique, on n’en retirera pas grand grand-chose si ce n’est peut-être un message creux qu’on nous soufflait finalement depuis le titre.
Sans moi.