Certainement...
La recherche d'éléments d'histoire d'un presque inconnu, Kalo, est la porte d'entrée. Mais le narrateur surtout, se cherche à travers cette quête. Il essaye parfois de s'échapper. Une invitation à...
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le 6 déc. 2020
Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, et indépendante de toute autre, initialement parue en 1996.
Seth est un auteur de bandes dessinées qui a une vingtaine d'années alors que le récit commence. Il s'adresse au lecteur par le biais de sa voix intérieure indiquant que sa vie baigne dans son amour pour les comic strips et les dessins humoristiques. En ce jour de 1986, il profite d'un séjour chez sa mère pour rechercher des compilations de comic strips dans les librairies de London (en Ontario). Après ce bref séjour, il rentre à Toronto. Il se promène dans un arboretum où il papote avec Chester Brown, son meilleur ami, lui aussi auteur de comics (par exemple Le petit homme). Il évoque sa façon de voir les gens, sa rupture avec sa dernière copine. Arrivé chez lui, il montre à Chester ses dernières trouvailles en matière de dessins humoristiques, en particulier ceux publiés dans le New Yorker (The complete cartoons of the New Yorker). Il a été particulièrement touché par un dessin d'un artiste ayant signé Kalo. Par la suite il croise une jeune femme prénommée Ruthie, avec laquelle il noue une relation, il rencontre à plusieurs reprises Chester Brown, il emmène son chat chez le vétérinaire pour une infection des gencives. Et il se met à la recherche de ce mystérieux Kalo au style si séduisant.
Seth (de son vrai nom Gregory Gallant) est un auteur canadien rare, au style très personnel. À ce jour (2013), il a réalisé 5 bandes dessinées : (1) La vie est belle malgré tout publié en 1996 dans les numéros 4 à 9 de son magazine "Palookaville", (2) Le commis voyageur initialement publié en 2 tomes sortis en 2000 et 2003, (3) Wimbledon Green : le plus grand collectionneur de comics du monde en 2005, (4) George Sprott (1894-1975) en 2009, et (5) La Confrérie des cartoonists du grand nord en 2011.
Dans ce récit, il se met en scène dans le cadre d'une autofiction. Il est visible que le personnage Seth partage beaucoup de points communs avec l'auteur Seth, mais cette quête de Kalo est fictive. Seth dessine dans un style très épuré pouvant parfois évoquer celui d'Hergé ou des nombreux cartoonistes qu'il évoque en fin de volume (Charles Addams, Dan DeCarlo, Ernie Bushmilller, Charles Schultz...). L'ouvrage est dessiné en noir et blanc, avec une seule couleur vert sauge appliquée pour faire ressortir quelques formes dans chaque case. Dans sa version originale (en VO), il est imprimé sur du papier jauni pour accentuer l'effet suranné et nostalgique. Seth s'applique à dessiner des personnages aux morphologies et aux visages tous différents et distincts, avec cette simplification des traits qui en fait des personnages de bandes dessinées, déjà assez éloignés visuellement de leur contrepartie réelle, plus proche d'un assemblage de traits que d'une ressemblance photographique. Ce parti pris volontairement détaché de la réalité se retrouve également dans la représentation des bâtiments divers et variés.
Seth accorde une grande place à la contemplation des constructions immobilières et des maisons. À plusieurs reprises, le lecteur se retrouve face à une maison dans la campagne canadienne, ou des maisons à 1 ou 2 étages dans la banlieue de Toronto, ou l'horizon délimité par le somment des immeubles. Seth est un individu qui se déplace souvent en marchant et le lecteur peut apprécier un parc sous la neige, les gens marchant sur le trottoir, un feu d'artifice. Les bâtiments présentent la même distanciation d'avec une représentation réaliste ; ils ont cette même qualité un peu factice. Au fur et à mesure, Seth expérimente avec sa façon de raconter. Au début de la cinquième partie, il y a 5 pages consécutives dépourvues de tout texte qui montrent le passage des saisons. D'un coté, il utilise le dispositif très classique d'insérer de la neige, ou un soleil de plomb pour signifier la saison, de l'autre il juxtapose des images traduisant le mouvement de son regard, le papillonnement de son attention. Il s'agit d'une technique très courante dans les mangas qui permet à l'auteur de figurer la sensation éprouvée par le personnage, ou son état d'esprit. Intégrée dans une narration plus occidentale, l'effet est tout aussi saisissant.
Sous des apparences visuelles simples et évidentes, Seth fait déjà preuve d'une solide maîtrise des techniques de la bande dessinée, et les utilise pour faire ressentir au lecteur, ses états d'âmes, ses états d'esprit, sa légère mélancolie. Pour autant, il ne s'agit pas d'un récit passéiste ou pessimiste. Seth expose sa passion pour les comic-strips avec délicatesse. Il reconnaît son goût pour les années 1930 et 1940 (pas très loin d'un "c'était mieux avant", mais pas tout à fait), son goût pour les objets manufacturés avec soin (par opposition à industrialisés avec économie de moyens), sa capacité à se sentir ému par ses souvenirs d'enfance. Seth se révèle être un individu très agréable à côtoyer, à découvrir petit à petit au fil de ses discussions avec Chester Brown ou Ruthie, de son monologue intérieur sur sa peur du changement, son habitude de faire des listes, etc.
Cette forme de confession se combine avec ce qui constitue la dynamique ou le fil conducteur du récit : la recherche de ce dessinateur remarquable ayant eu une courte carrière. À un premier niveau, cette lente recherche de cet artiste fournit la trame principale et transforme un journal intime en un roman avec une intrigue. Mais Seth s'attache plus à évoquer les traces de la carrière de cet artiste fictif, qu'à décrire ses qualités d'artiste. Petit à petit, le lecteur finit par se dire que cette évocation ressemble fort à une projection de ce que pourrait être le devenir de Seth lui-même : un auteur connaissant une forme de gloire limitée, puis sombrant dans l'oubli. Sous cet angle, ce récit prend une dimension étonnante : Seth évoque ses impressions d'enfance (son passé), il évolue dans le présent, et il contemple ce qui pourrait être sa trajectoire d'artiste. Avec ce point de vue, "It's a good life if you don't weaken" n'est plus une autofiction douce et intime, mais un regard sur une vie en devenir, comme si le moment présent contenait déjà tout les moments futurs. Cette impression est encore renforcée alors que l'histoire s'achève dans une maison de repos pour personnes âgées.
Dans cette histoire, Seth se met en scène dans une autofiction tenant à la fois du journal intime, de son approche de la vie et de sa propre individualité, mais aussi d'une possible structure prédéterminée de son avenir.
Créée
le 6 juil. 2019
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