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Un croisement entre un aventurier façon Indiana Jones et un grand-père en mode touriste, avec appareil photo en bandoulière. En ouverture de sa cinquième bande dessinée, la Voie ferrée au-dessus des nuages, le Chinois Li Kunwu se présente en quelques planches et met en lumière toutes les ambiguïtés qui lui collent à la peau.
Toujours en mouvement, Li Kunwu est une contradiction ambulante : un boulimique de travail qui se définit comme «retraité», un auteur de BD documentaires qui aspire à l’objectivité mais se base sur le subjectif et se met perpétuellement en scène… Cette tentative de bâtir des ponts imaginaires entre les opposés se retrouve dans la Voie ferrée au-dessus des nuages.

A première vue, la bande dessinée est consacrée à la construction, il y a cent ans, d’un chemin de fer perché dans les montagnes du Yunnan. On pense tenir en main un manhua sur les colons français qui ont exploité 67000 forçats, des Vietnamiens et des Chinois, pour ouvrir un corridor entre l’Indochine française et ce sud sauvage de la Chine. On s’attend à un compte rendu des tours de force nécessaires pour creuser un sillon à flanc de montagne, pour fabriquer ce pont à arbalétriers qui fait encore aujourd’hui figure de prouesse technique. On imagine un pamphlet contre les atrocités commises par l’envahisseur colonial, dénonçant les 12000 vies sacrifiées pour construire la ligne Haiphong-Kunming, confrontant les Européens à leur responsabilité historique : les prisonniers jetés dans des cages taillées pour que les suppliciés ne puissent ni s’asseoir ni se tenir debout, les ouvriers décapités dont les têtes étaient suspendues à des poteaux pour couper toute envie de rébellion.

Mais si ces sujets sont brassés dans la Voie ferrée…, ils ne constituent que la charpente du récit. Ecrit au fil de la plume, une nouveauté pour Li Kunwu, plus habitué à rédiger scrupuleusement son histoire avant de se mettre à la planche à dessin, la BD est une déambulation entre la Chine éternelle et le Yunnan d’aujourd’hui, un dialogue entre passé et présent. L’enquête sur l’origine du Cimetière des étrangers, où seraient enterrés les Occidentaux ayant participé à l’élaboration du chemin de fer, n’est qu’un point de départ, un prétexte qui mène à la découverte de la correspondance d’un Français, Georges-Auguste Marbotte. C’est à travers les lettres de ce comptable expatrié en Asie que la Chine du début du XXe siècle se révèle dans toute sa splendeur. La Voie ferrée au-dessus des nuages n’est pas autobiographique, mais semble être l’œuvre la plus intime de Li Kunwu. C’est sa place même en tant qu’auteur qu’il met en jeu.

Li Kunwu se pense comme un pont entre deux générations, entre deux Chine. D’un côté, le pays rural, sauvage, qu’ont connu les personnes qui, comme lui, ont vécu le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle. De l’autre, un pays pressé, sans mémoire. L’effet de contraste entre un monde perdu, quasi mystique, et la modernité est accru par les allers-retours du récit entre passé (la correspondance de Marbotte) et présent (l’enquête), les ruptures de style graphique matérialisant ce fossé. A la douceur du gris aquarelle utilisé pour le début du XXe siècle (rappelant certains travaux, proche de ceux d’un ethnologue, de l’auteur, qui a longuement dessiné les minorités ethniques du Yunnan) répond le noir et blanc du XXIe siècle. Les paysages sans fin et les villages traditionnels s’entrechoquent avec les KFC et les gigantesques centres commerciaux de Kunming, lieux triviaux où l’enquêteur se fait traduire les lettres du comptable français.

Comme au tournant du XXe siècle, le chemin de fer venait relier deux mondes, l’Indochine colonisée et le Yunnan inviolé, la voie ferrée devient un moyen de communication entre Orient et Occident, autorisant une rencontre épistolaire entre l’Européen Marbotte et le Chinois Li. Entre deux curiosités libérées des contraintes du temps et de l’espace.

Créée

le 10 déc. 2013

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Marius

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