Je ne vais pas tant écrire sur le contenu de cette (belle) BD que du sentiment connu et de la nostalgie d’un temps que les moins de 10 ans ne peuvent pas connaitre qu’elle a ravivé chez moi.
Jean se réveille au son d’It’s a lonely boy des Black Keys.
Jean a, comme quasiment tous les jours, passé une bonne partie de la nuit à divaguer sur internet.
Avec 1000 onglets ouverts, passant du blog de Marion Montaigne au site du Guardian, en écoutant Deezer ou France Inter, scrollant Twitter, Youtube/ Youporn en arrière plan, avant de lancer Chatroulette pour passer le temps et noyer sa solitude.
Jean vit en 2015, dans une petite ville de province ou personne ne comprend réellement son addiction aux internets et s’en moque plutôt.
La vraie vie m’a ramené quelques années en arrière, quand se plonger dans des vies inconnues à travers les blogs, nourrir des discussions enflammées avec des pseudos au genre neutre, ou construire des identités multiples selon l’humeur ou l’interlocuteur était perçu comme quelque chose de légèrement déviant.
Je me souviens des soirées passées à dévorer des récits quotidiens à l’autre bout de la France, des gens à qui je n’ai jamais parlé et dont je connaissais pourtant la vie la plus intime.
Des minutes à attendre une réponse, un commentaire, à imaginer des yeux, des mains, des visages.
Des heures à écrire pour des pixels, la sincérité exacerbée par la nouveauté de l’outil et l’anonymat.
Des larmes évitées par la possibilité d’échanger avec des gens similaires et bienveillants.
Des surprises, des attentions, des sourires, de l’appartenance à un crew, des mots encore et toujours.
Je me souviens de cacher cette vie URL aux amis IRL. Je me souviens de la quasi honte quand certains dénichaient une once de duplicité. Je me souviens de garder précieusement au creux de mon cœur l’infini du web 2.0 qui venait d’éclore.
Aujourd’hui Internet est partout. Les derniers rétifs à Facebook font figure d’illuminés et/ou d’ermites. L’injonction est aux publications sous sa vraie identité.
Aujourd’hui je ne lis quasiment plus de blogs. Aujourd’hui on n’échange plus réellement sur Twitter. Aujourd’hui les plus modernes font des vlogs. Aujourd’hui la vitesse réduit les interstices.
Je passe toujours autant de temps sur internet, sa richesse est toujours aussi grande, son humanité à portée de doigts peut-être un peu moins.
Tu vois, la vie sur le net ou ici, en fait, elle est pas si différente, simplement là-bas, les gens, tu les choisis un peu. Tu rencontreras des gens que tu rencontrerais jamais ici, et les gens qui mentent sur ce qu’ils sont, c’est souvent pour être plus proches de ce qu’ils voudraient être.
(Un des derniers épisodes de Transfert (excellent podcast de Slate) m’a d’ailleurs également rappelé cette période.)