Ce tome fait suite à Ladies with guns - Tome 1 (2022) qu’il vaut mieux avoir lu avant. Sa parution initiale date de 2022. Il a été réalisé par Olivier Bocquet scénariste, Anlor Tran dessins et Elvire de Cock couleur. Il comporte soixante-deux pages de bande dessinée.
Deux chasseurs de primes avancent tranquillement sur un chemin de montagne, au milieu d’une forêt clairsemée de sapins. Ils papotent avec méfiance, surpris de se retrouver comme ça sur le même chemin après toutes ces années. Le plus grand en déduit que Sans doute qu’il faut avoir le même genre d’activité pour se croiser par hasard sur une route paumée au fin fond de nulle part. Pour autant, ni l’un, ni l’autre ne souhaite énoncer à haute voix ce qui l’a amené sur ledit chemin. Finalement le plus petit tente une intuition et demande si l’autre est là pour les cinq folles. Son compagnon de voyage le reconnaît. Le premier ajoute : cinq donzelles, milles dollars par tête, argent facile. Ainsi relancée, la discussion continue : ils ne doivent pas être les seuls à penser ça, vraisemblablement tout ce que l’état compte de chasseurs de primes est sûrement déjà en route. Une belle brochette de crétins, ajoute le petit. Parce qu’avec tous les cadavres qu’elles ont laissés derrière elles, elles doivent déjà être très, très loin d’ici. Le sentier se fait plus étroit, et tout à la discussion le chasseur de primes qui passe devant n’y a pas prêté attention. Son cheval fait un faux pas, et il n’a que le temps de lui serrer la bride pour que sa monture reprenne pied sur le chemin. L’une de ses fontes s’est ouverte sous le choc et laisse s’échapper les affiches d’avis de recherche des cinq donzelles.
Ces affiches tombent jusqu’en bas de la pente où elles sont récupérées par Chumani qui se trouve à l’entrée de la mine où ces dames ont trouvé refuge. Daisy McCormick est allongée par terre, avec un peu de fièvre. Elle indique à Kathleen Parker, qu’elle a déjà vu ce genre d’infection et qu’elle sait comment ça se termine. Elle a besoin d’un chirurgien. De son côté Cassie Coltrane intervient pour dire que le seul docteur du comté, c’est McDowell. Mais si elles vont le voir, il les dénoncera dans l’heure. C’est un fourbe et il ne sait pas tenir sa langue. Consciente de son état, Daisy suggère aux autres de la déposer sur une route, pour que quelqu’un la trouve. Elle sera sûrement emmenée en prison, mais elle ne veut pas mourir comme un rat dans son trou. Elle estime qu’elle a une chance d’échapper à la corde : en y réfléchissant, elle n’a fait que défendre sa maison. Elle a été institutrice pendant trente ans, elle connaît tout le monde. Beaucoup de gens lui doivent des services. S’il y a procès, elle estime qu’elle a ses chances. Et bien sûr, elle a la peau blanche, ça aide. Abigail se réveille, avec le bébé puma à ses côtés. Elle trouve bizarre cette dénomination de peau blanche, alors qu’on dit que Chumani c’est une peau rouge, et qu’en fait sa peau est plutôt caramel. Daisy acquiesce les vraies peaux rouges viennent d’Angleterre, d’Écosse ou d’Irlande.
Pas facile de développer une suite aux déchaînements de violence explosive du premier tome : faut-il donner dans la surenchère ? Faire encore plus fort, plus violent et plus coloré ? En termes de construction d’une série, cela peut être un choix : un crescendo sans cesse plus inventif, un exercice de style en soi, un défi de créativité dans la brutalité et le sadisme. De fait, le lecteur retrouve quelques scènes s’inscrivant dans ce registre, exécutée avec la même maestria que dans le tome 1. Il faut attendre la page quatorze pour que survienne la première du genre : l’explosion d’un bâton de dynamite dans une quincaillerie. Les auteurs ont bien préparé leur coup : six personnes différentes (le mexicain chez le dentiste, deux chasseurs de primes dans la maison close, le shérif sous l’auvent de son bureau, un client du saloon au comptoir et un cowboy en train de savourer une passe dans une chambre à l’étage) ressentent l’effet de la déflagration, chacun en fonction de son occupation et de sa localisation. La survenance de l’explosion se matérialise par un effet sonore KABOOM écrit à la verticale comme s’il déchirait la page en deux, les cases de guingois de part et d’autre, comme si elles étaient soufflées par la force de l’explosion, la réaction de choc des personnes dans les cinq endroits différents, et le retour de cette nuance de jaune très caractéristique du premier album. Ça ne dure qu’une seule planche, la page quinze, mais quelle intensité. En page dix-neuf, nouvelle explosion de violence d’une rare intensité, le temps d’une case juste plus petite que la moitié de la hauteur de la page, de la largeur de la page, avec à nouveau une onomatopée massive, déchirée par la trace des balles fusantes.
Le déchaînement de violence suivant correspond plus à une souffrance fulgurante en page 27, difficile à soutenir. La dernière séquence d’action à haute teneur en adrénaline arrive vers la fin du tome, une fuite en fourgon tiré par des chevaux exhalant toute sa sauvagerie, sa soudaineté et son urgence impérieuse, par le biais, à nouveau, d’une mise en scène, d’une prise de vue et d’un découpage cousu main : sur la base de cases de la largeur de la page, avec parfois une bande de cases biseautées, la gouttière inclinée appuyant l’impression de vitesse, et toujours ce jeu avec le jaune si caractéristique, apportant l’urgence du feu, l’intensité de la chaleur vive. Sans oublier ce magnifique dessin s’étalant sur les deux tiers supérieurs de deux pages quarante-six & quarante-sept : la fuite toute bride abattue à cheval et avec une carriole dans la nuit en plein désert, avec un superbe ciel où quelques nuages reflètent les derniers rayons du soleil. Indéniablement, ça en jette visuellement, et pas seulement dans les séquences d’action. Le lecteur apprécie cette balade à cheval en montagne. Il constate dès la première page que dessinatrice et coloriste réalisent un travail complémentaire avec un haut degré de coordination. Sans couleur, les cases ne sembleraient pas tout à fait assez consistantes ; avec la couleur les surfaces gagnent en texture, en volume, en nuance d’éclairage. S’il entretient un reste de doute, il suffit au lecteur de regarder ces dames avec des flingues dans la caverne pour voir l’habileté avec laquelle Elvire de Cock habille et nourrit les formes détourées, installe l’ambiance lumineuse spécifique au lieu et à la scène.
Évidemment, le lecteur attend avec impatience les moments d’éclats, les compositions de page éclatées et explosives : le début lui semble bien calme. Toutefois, il voit que la dessinatrice construit chaque page en fonction de la nature de ce qui se passe, que ce soit le nombre de cases, leur forme, leur placement. Il retrouve le détourage un peu rugueux des personnages, ce qui leur apporte une forme de marques laissées par la vie, et effectivement les traits se font plus doux lors du souvenir dans le passé consacré à Daisy & Mary. La reconstitution historique est réalisée avec soin que ce soit pour les costumes, les habitations, les décorations intérieures. Le lecteur apprécie le passage par la plantation de tabac, avec les feuilles suspendues à sécher dans une grange. Les auteurs jouent discrètement avec la forme quand les cinq femmes imaginent comment braquer une banque pour essayer de se représenter ce qu’il adviendrait avec cette tactique qu’elles comptent adopter. Les couleurs en milieu naturel resplendissent pour mettre en valeur l’infinité du ciel, ou la richesse de nuances des végétaux. En peu de pages, le lecteur arrête de penser à la survenance d’une scène d’action, profitant pleinement de la narration visuelle faite sur mesure, cousue main.
En cohérence avec le premier tome, les cinq femmes ont vu leur tête mise à prix, sont des fuyardes dont l’une est blessée, et elles se concertent pour savoir quoi faire ensuite. L’intrigue repose sur cette forme de traque ou de course-poursuite, une dynamique narrative toujours entraînante, allant de l’avant. Dans une séquence de quatre pages, le lecteur en apprend plus sur le passé de Daisy, à l’occasion d’un drame. Il obtient la confirmation de l’état de Cassie Coltrane, clairement visible sur l’illustration de couverture. Enfin, il apprend ce que contient le tonneau auquel Kathleen Parker tient tant. Un groupe d’hommes revanchard reste à la poursuite de ces femmes, avec une incitation supplémentaire : la récompense. Cet état de fait est établi lorsque les affiches correspondantes tombent littéralement sous le nez de Chumani par une circonstance bien opportune. Le lecteur se fait la remarque que cette coïncidence est trop belle pour être vraie, et il se rappelle que cette bande dessinée ne s’inscrit pas dans une veine réaliste, mais plus un récit d’aventures. Il relève de temps à autre une remarque ou une situation qui met en évidence la maltraitance systématique des femmes par les hommes, l’expression d’un patriarcat oppresseur. Pour autant, la bande dessinée ne prend pas un ton féministe : ces remarques sont générées par le fait que les personnages principaux sont cinq femmes, ce qui correspond à un point de vue féminin, dans une société où les hommes détiennent l’autorité à la force de leur arme à feu. Le scénariste ne focalise pas chaque scène sur ce point de vue : il met également en lumière d’autres formes d’oppression ou d’autres facettes de la société. La brutalité de la médecine. L’illusion de la vie sauvage quand Chumani fait remarquer qu’il faut toute une tribu pour vivre sans argent comme les Indiens. Ou encore l’illusion de pouvoir retourner à un monde plus simple quand Chumani se met à expliquer la complexité de la démarche pour fabriquer ses propres couleurs à partir d’ingrédients naturels, et le fait que cela fait des années que les Indiens achètent leur peinture aux blancs.
D’une certaine manière, ce deuxième album était attendu au tournant : des scènes d’action encore plus spectaculaires sur une intrigue prétexte, ou une tentative de densifier le récit au risque d’en ralentir l’allure ? Anlor Tran n’a rien perdu de son coup de crayons, de sa capacité à insuffler du mouvement dans les personnages, dans les plans de prise de vue. Elvire de Cock réalise sa mise en couleurs en complémentarité des traits encrés, comme si chaque case avait été conçue et planifiée avec cette collaboration en tête. Olivier Bocquet parvient à trouver un bon dosage entre les scènes d’action qui en mettent plein la vue, le développement des personnages, les interactions entre les cinq fugitives, la nécessité d’envisager l’avenir à moyen terme, quelques réflexions consistantes sur la condition féminine à l’époque, mais également sur le degré déjà élevé de complexité de la société.