Volume 1 :
"Lady Snowblood" est donc l'un des grands "classiques" du manga, avec son personnage, devenu mythique, de femme-tueuse assoiffée de vengeance, sur lequel, par exemple, Tarantino construira son "Kill Bill". Reste quand que on lit, positivement sidéré, le manga, il est difficile de se réfugier derrière l'honorabilité de la culture japonaise moderne, tant on se délecte au long de ces 500 pages tantôt fiévreuses, tantôt contemplatives, de situations obscènes ou ignobles : car ce qui frappe ici, ce n'est pas la violence physique, le sang, tant les coups de sabre qui étripent et décapitent sont élégamment stylisés, épurés, réduits souvent à la simple dynamique d'un mouvement fulgurant ou d'un jet de sang, mais bien l'obstination du scénariste pervers à faire subir aux femmes - héroïne y compris - les derniers outrages : viols à répétition, bondage, flagellation, humiliations, tout est bon pour exciter le mâle pervers en nous, et les tentatives pour placer le récit dans un contexte historique (par ailleurs vraiment passionnant) ne sont finalement que pure façade. Car ce qui importe dans "Lady Snowblood", c'est bien la jouissance de l'avilissement, et une sorte de haine infinie de cette humanité bestiale qui ne mérite visiblement pour Kazuo Koike que la déchéance et la mort. Car ici, il n'y a ni foi ni innocence, mais manipulations immorales à répétition et raffinement d'une vengeance interminablement différée. Radical ! [Critique écrite en 2014]
Volume 2 :
Dans sa seconde partie, la saga de la vengeance de Lady Snowblood s'élève au-dessus du systématisme de ses premiers épisodes (le cycle contrat-infiltration-manipulation-massacre) et semble partir sur des chemins de traverse qui nous réservent de sublimes moments de contemplation... et d'érotisme, puisque le schéma domination - viol est enfin dépassé, grâce, il faut l'avouer, à l'amour lesbien : est-ce dire que le phallus est la seule source du mal ? Sans doute... "Lady Snowblood" finit donc par nous bouleverser durablement, en particulier lors de la belle mise en abyme du récit effectuée via le personnage truculent de l'écrivain-escroc, enfin digne figure paternelle, et se conclut magnifiquement avec un épilogue qui sacrifie à la douceur sans tomber dans le moralisme à l'occidentale : la vengeance ne saurait souffrir d'exception, le pardon n'a pas sa place dans le monde, mais au moins la vie - une petite-fille qui a appris à mentir à son père - continue... [Critique écrite en 2014]
Volume 3 :
Koike et Kamimura ont donc décidé d'offrir une seconde vie à leur personnage mythique de Lady Snowblood, après que sa vengeance ait été consommée et que le mot fin soit venu s'inscrire. Mais, en narrant sa réinsertion dans le siècle, ils font le choix de donner à son destin une perspective politique, en la transformant en défenseur (euh, -seuse ?) du socialisme naissant, traqué par l'impérialisme militaire qui allait mener le Japon à la catastrophe que l'on sait. Si l'on ajoute l'assimilation - farfelue pour nous, Occidentaux - de la gymnastique suédoise (!) à la lutte idéologique (il s'agit de libérer les corps des japonais(es) autant que leurs esprits...), on a quand même un peu de mal à suivre nos auteurs sur ce terrain, d'autant que la perspective historique ne semble pas se doubler d'une pertinence particulière. Lady Snowblood, devenue pratiquement un super héros invincible (les balles d'un peloton de soldats ne l'atteignent pas...), a finalement effectué une métamorphose assez décevante. [Critique écrite en 2014]